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29 février 2024 4 29 /02 /février /2024 09:10

Introduction

Les jeunes ne sont pas seulement ceux qui font partie d’un ensemble démographique dont les membres tirent prétexte de leur jeunesse pour s’autoriser à remettre en cause l’ordre éthique et politique établi par ceux qui les ont biologiquement suscités. Ce sont aussi et surtout des êtres dont la psychologie est saturée de représentations oniriques qui les motivent à juger le monde réel à l’aune de leurs multiples fantasmes. Parmi les fantasmes qui structurent leur psychologie et à la sanction desquels ils jugent leur espace-temps d’appartenance, il y a celui de la Terre promise, c’est-à-dire celle où sont censés couler le lait et le miel qu’ils pourraient se contenter de boire s’il leur était donné la possibilité d’y accéder.

Si le présent exposé a pour dessein de déterminer les fantasmes qui rendent compte de la volonté des jeunes Africains à se constituer anachroniquement disciples d’Abraham, au point de s’investir, au grand péril de leur vie, dans des mouvements migratoires ayant pour fin de leur assurer l’accès à ce qu’ils se représentent comme la Terre promise à eux soit par leurs ancêtres, soit par la référence théologique de leur culte de préférence, il a aussi pour fin d’identifier le terreau fertile pour ces fantasmes. Dans l’espoir d’accéder, avec bonheur, à l’intelligibilité de ce phénomène, nous allons d’abord procéder à une rapide phénoménologie des mouvements migratoires des jeunes Africains. Nous allons ensuite convoquer l’argument psychologique de la peur du vide pour en déterminer le fondement et les conséquences. Dans la dimension propositionnelle de notre exposé, nous procèderons à des suggestions de nature à contribuer à la résolution de l’épidémie des malaises sociaux dont souffrent la plupart des pays d’Afrique, et qui prédisposent leurs jeunes ressortissants à croire pouvoir trouver dans l’exode la solution propice à leurs problèmes.

I-Une brève phénoménologie des dynamiques migratoires des jeunes Africains vers ce qu’ils prennent pour la Terre promise

Le mirage de l’ailleurs et les autres illusions dont il est chargé, exercent généralement sur la psychologie des jeunes Africains un tel pouvoir de fascination que ces derniers se représentent les chez eux comme l’enfer dont ils doivent à tout prix sortir pour accéder à la pleine et paisible jouissance des délices de la Terre promise.

Ces illusions sont celles dont sont surtout victimes ceux des jeunes Africains qui désespèrent de relever, chez eux, les défis des impératifs historiques les plus vitaux que sont se nourrir, se vêtir et se loger, s’éduquer et se cultiver étant des luxes bourgeois qu’ils ne peuvent pas se payer par la nécessité de leurs propres moyens.

Le fait qu’ils ne puissent pas faire face à l’adversité caractéristique du chez eux les motive non seulement à prendre leur pays d’appartenance pour des lieux de genèse de la pauvreté et de la misère, mais aussi à faire de l’ailleurs le point focal de leurs fantasmes. Si l’ailleurs est si fantasmé par eux, c’est parce que l’ici ou le chez eux est infernal, compte tenu du fait qu’il ne donne pas à leur aspiration à exister dignement la moindre chance de se réaliser.

Les jeunes gens désespérés qui prennent, à tort ou à raison, l’Occident pour leur Terre promise n’hésitent pas à courir le risque d’être enterrés dans ce cimetière aquatique que la Méditerranée est devenue pour les migrants. Le rêve d’une vie meilleure dans un paradis terrestre prend, dans les représentations de beaucoup d’entre eux, la forme d’une obsession si pathologique qu’il leur est difficile d’envisager leur vie et leur existence en dehors de ces pays des merveilles que l’Italie, l’Espagne, la France, la Suisse, la Belgique, la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou les États-Unis sont pour eux.

Pour accéder à un paradis terrestre, au lieu d’attendre d’être admis à faire valoir sa vie future dans cet Eldorado dont parlent La Bible et Le Coran, certains jeunes Africains lorgnent aussi du côté de l’Orient. S’ils croient pouvoir réaliser leur aspiration à exister à Dubaï ou en Chine plutôt qu’en Occident, leurs motivations ne diffèrent pas de celles de ceux qui courent le risque d’être transformés en ressources halieutiques propices à la gastronomie des éléments de la faune maritime de la Méditerranée. Si tous ces disciples d’Abraham fantasment d’une terre où coulent le lait et le miel, c’est parce que leur psychologie est gouvernée par la peur du vide.

II-La peur du vide comme principale clé d’explication du phénomène migratoire des jeunes Africains

La peur du vide est précisément celle qu’éprouvent les jeunes dont l’aspiration à exister est frustrée en Afrique du fait de l’illisibilité sociopolitique de cet espace-temps dont l’adversité les amène à rêver d’une vie meilleure, mais dans un autre espace-temps coloré suivant leurs fantasmes. Si l’onirique ou le fantasmatique dont se nourrit la peur du vide, impose sa nécessité à leur système de représentations, c’est parce qu’il est ce par quoi les jeunes refusent de continuer de mener une existence conjecturale fondée sur le « si » et le « peut-être ». C’est effectivement par le biais du rêve qu’ils croient pouvoir échapper à une réalité à laquelle ils ne sont pas en mesure de donner un sens véritablement humain.

La peur du vide qu’éprouvent les jeunes Africains qui ne croient pouvoir la dissiper qu’en migrant à l’étranger, c’est aussi celle de voir leurs rêves brisés ou accaparés par ceux qui collaborent plutôt à leur instrumentalisation politique qu’à leur épanouissement, notamment lorsqu’ils se contentent de les solliciter soit pour garnir les troupes de tel ou tel parti politique, soit pour qu’ils s’inscrivent dans telle ou telle officine de promotion de l’obscurantisme.

La peur du vide est donc celle que les jeunes Africains éprouvent d’être effacés du paysage éthique et politique des pays auxquels ils appartiennent objectivement, mais dans lesquels ils ne peuvent actualiser ni leur humanité ni leur citoyenneté, parce que la dynamique politique de ces pays ne donne à leur aspiration à exister aucune chance de prospérer. La volonté de dissiper cette peur, en comblant le vide qui la suscite, motive alors les jeunes Africains à développer des stratégies de fuite qui consistent, pour l’essentiel, à migrer vers des terres inconnues qu’ils croient suffisamment propices à la réalisation de leur aspiration à exister dans un monde auquel ils ne tiennent pas à se rapporter en qualité de simples figurants. S’ils fuient le chez eux, c’est effectivement pour cesser d’être les spectateurs d’une dynamique historique dont les autres sont les facteurs exclusifs.

En clair, si ces jeunes fuient le chez eux, c’est parce qu’ils rêvent de devenir ce qu’ils ne sont pas. C’est donc par peur d’être, coincés dans l’étau de la pauvreté, au point de continuer d’être enfermés dans le ghetto des quantités sociales négligeables et méprisables qu’ils fuient le chez eux. La volonté de compter aussi dans une géographie politique dont les autres maîtrisent aussi bien le relief que l’hydrographie, de manière à pouvoir la marquer son histoire de leur empreinte d’humains et de citoyens, les motive à refuser d’être condamnés à mener une existence bricolée à la limite de l’humanité et de la citoyenneté. Hantés par le rêve d’apocalypse dont la pauvreté et la misère sont les éléments structurants, les jeunes Africains cherchent à tout prix ailleurs ce dont la crise est avérée chez eux.

C’est ainsi qu’on peut rendre globalement compte de la peur du vide qu’éprouvent les jeunes Africains qui fantasment de plus en plus sur le Canada, Dubaï, etc., au point de ses les représenter comme les plus beaux quartiers du paradis. L’infernalisation de l’ici et du maintenant, eu égard à leur adversité caractéristique, se comprend à partir du sentiment de détestation que les jeunes Africains éprouvent envers eux pour les raisons déjà énumérées. Elle explique aussi les fantasmes dont ils enveloppent l’ailleurs, suivant des rêves qu’hypertrophient le cinéma et les autres instruments idéologiques qui peignent souvent les pays de leurs fantasmes avec les couleurs du paradis. L’énorme pouvoir de séduction que l’ailleurs exerce sur leurs représentations a pour conséquence l’exode des cerveaux et l’hémorragie des compétences.

Parce que les phénomènes migratoires qui privent l’Afrique d’une partie de ses ressources humaines peuvent en compromettre le développement, il importe de résoudre ce problème.

III-Question de résolution des problèmes liés au phénomène migratoire en Afrique

Comment juguler, à défaut de la stopper totalement, l’hémorragie des ressources humaines dont s’accompagne le phénomène migratoire en Afrique et qui ajoute à celle dont ce continent a déjà été historiquement l’objet au cours de la traite négrière ? Cette interrogation en suscite une autre, celle relative à la nouvelle orientation qu’il faut donner à la gouvernance des dirigeants africains pour que l’Afrique soit désormais le principal point focal des fantasmes des jeunes Africains.

Si la philosophie n’a réellement pas des réponses toutes faites pour l’une ou l’autre de ces questions, le philosophe peut quand même suggérer que l’Afrique s’organise politiquement à être une véritable zone de confort existentiel suffisamment attractive pour que ses ressortissants puissent y relever les défis des impératifs historiques. C’est à ce prix que l’Afrique peut faire efficacement provision de ses ressources humaines dont l’hémorragie ne peut pas ne pas étouffer l’expression de sa volonté de se développer et de s’affirmer comme une entité politique respectable dans le concert des nations.

Les pays africains doivent donc révolutionner leurs politiques sociales en les articulant constamment à la justice sociale dont la crise est, entre autres, due non seulement au déficit des ascenseurs sociaux, mais aussi au défaut du renouvellement de l’élite qui se remarque à travers la tendance à la reproduction dynastique de la classe dirigeante.

Tout cela ne peut se réaliser que si les gouvernants africains procèdent à l’assainissement de leur gouvernance qui est trop affectée par des pathologies politiques pour assurer la visibilité existentielle à ces jeunes Africains qui prennent les difficultés liées au phénomène migratoire pour de simples rites auxquels ils doivent sacrifier pour accéder à la jouissance du bien-être, voire du bonheur.

Il est tout à fait possible d’inscrire le phénomène migratoire dans la problématique de la cité idéale, c’est-à-dire celle dont le fondement est la justice et dont la finalité politique est d’assurer aux citoyens le bien-être et le bonheur auxquels ceux-ci aspirent.

Si Platon a le mérite d’avoir inauguré le débat y relatif, ce problème est d’une actualité évidente. S’il se pose encore aujourd’hui, mais suivant les contraintes normatives d’une sémantique dont Platon était tout à fait ignorant à son époque, c’est parce qu’il demeure irrésolu. Cependant, le fait qu’il le soit ne doit pas motiver les dirigeants africains à croire que ce problème est insoluble en soi.

En intégrant la question liée aux dynamiques migratoires des jeunes Africains dans la problématique de la cité idéale et, par voie de conséquence, à la gouvernance, nous pensons que les stratégies de fuite que développent de plus en plus les jeunes Africains, dans l’espoir de doter leur vie d’authentiques certificats d’humanité, sont symptomatiques de la mal gouvernance caractéristique de leur pays d’appartenance. Corriger les défauts de gouvernance de ces pays devient alors un impératif éthique et politique à assumer par les maîtres du pouvoir pour que la jeunesse de leur pays n’ait plus tendance à fantasmer sur l’ailleurs.

Conclusion

Si la philosophie ne dispose pas de solutions toutes faites pour le problème relatif au phénomène migratoire en Afrique, l’exploitation par les politiques africains des suggestions éthiques et politiques que les philosophes ont historiquement élaborées dans la perspective de la cité idéale, peut s’avérer utile dans la résolution dudit problème. En effet, c’est en bonifiant la qualité de leur gouvernance que les États d’Afrique peuvent résoudre efficacement le problème relatif au phénomène migratoire en Afrique. Il s’agit, pour cela, que les dirigeants africains inscrivent la justice sociale au cœur de leur gouvernance et développent un sens de la prospective, de nature à assurer aux générations futures la possibilité de réaliser pleinement leur aspiration à exister.

 

Lucien AYISSI

Philosophe

        

        

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