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12 septembre 2013 4 12 /09 /septembre /2013 22:18

professeur_ayissi.jpgÉlire est un acte qui peut prêter à équivoque, quand on sait qu’étymologiquement, cet acte renvoie à celui de nommer dont l’ambiguïté est avérée, dans la mesure où nommer veut à la fois dire donner un nom, appeler, instituer en qualité (d’héritier, d’administrateur des biens, etc.), choisir quelqu’un pour qu’il remplisse certaines fonctions sociales, administratives ou politiques.

 

 

 

Comment pouvoir désambiguïser un terme dont la signification a un spectre logique si vaste que la détermination de sa référence est trop aporétique pour que sa scrutabilité soit garantie ?

C’est par une approche logique tout à fait optionnelle qu’on peut éviter d’être pris dans la nasse des difficultés liées à l’ambiguïté caractéristique du terme élection. En retenant que l’élection est l’expression de la liberté qu’on manifeste soit en nommant quelqu’un parmi tant d’autres, soit en l’instituant en qualité de, soit en l’appelant pour telle ou telle raison, on s’aperçoit que l’élection a pour référence le choix. Choisir, c’est marquer librement sa préférence pour ceci ou pour cela, pour tel ou pour tel. La liberté apparaît donc comme le marqueur éthique et politique de l’élection. Ainsi, par l’acte d’élire, l’électeur donne à son humanité et à sa citoyenneté l’occasion de se dramatiser publiquement, notamment par rapport aux affaires de la cité ou relativement à la qualité des figures aspirant à les gérer. Cet acte revêt donc, à travers son caractère symbolique, un important intérêt éthique et politique : c’est par lui que l’individu donne la preuve non seulement de sa liberté et de sa dignité d’être humain, mais aussi et surtout celle de sa citoyenneté, appelé qu’il est à participer à la définition du sens à donner à sa polis. En plus d’être un indice de perception de la liberté et de la dignité de tel ou tel membre de la polis, l’élection est un acte politique fort pourvu de sens, car le possessif « sa » montre bien que la polis à l’orientation de laquelle il participe à travers le choix de ses dirigeants ou de ses représentants, n’est pas la propriété de ceux qu’il va élire ou qu’il aura élus. C’est lui qui en est comme le maître et le possesseur, bien que les contraintes de la gouvernance contemporaine l’amènent à devoir déléguer sa volonté au profit politique de celui ou de ceux à qui il aura librement marqué sa préférence.

Au-delà donc de l’aspect symbolique qui consiste en gestes dont la récurrence semble assimiler l'élection à un banal rituel politique auquel autrui peut facilement sacrifier en lieu et place de telle ou telle personne dans un contexte défini par la crise de libertés, il s'agit, à proprement parler, d'un acte dont la signification éthique et politique est établie.

Mais comment préserver la double signification de cet acte lorsque la politique s’inscrit dans le répertoire des modes d’une chrématistique à la critique de laquelle procédait déjà Aristote dans son célèbre ouvrage intitulée : La politique ? Transmuée en business dont la rationalité est effectivement définie par la rentabilité, la politique donne-t-elle encore suffisamment de chances au pouvoir d’élire des citoyens de traduire leur humanité, leur dignité et leur citoyenneté en acte ?

Il y a lieu d’en douter, surtout dans un monde où la démocratie rime très souvent avec la démagogie des bonimenteurs et des manipulateurs de tout poil qui, pendant la période de consultations populaires, s’activent à garnir les représentations des citoyens avec ces illusions fort séduisantes qui font place nette aux désillusions en périodes postélectorales.

Comment les citoyens peuvent-ils d’ailleurs protéger leur pouvoir d’élire contre les risques de corruption éthique et politique, si leur humanité et leur citoyenneté ne sont pas déjà sécurisées contre la pression délétère des impératifs historiques et le risque de conditionnement idéologique de leur conscience par les puissance d’argent et les gestionnaires des techniques de communication de masse ?

 

Pr. Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)

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