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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 09:48

 

 

 

professeur_ayissi.jpgCher choléra, il m’a fallu une bonne dose de témérité pour t’écrire cette lettre. Je vais également pousser mon audace jusqu’au bout en te tutoyant. J’espère que tu ne m’en voudras pas pour cette familiarité. Je n’ai pas intérêt à encourir ton courroux, car je sais ce dont tu es capable, à en juger par la maladie et la mort que tu répands actuellement dans les couches sociales vulnérables des villes camerounaises.

Comme tu vas le remarquer, cette lettre tranche avec celles dont on a souvent l’expérience au Cameroun où tu donnes à ton pouvoir d’exister un large spectre pathologique et macabre. Au Cameroun, en effet, on a coutume d’adresser des lettres ouvertes à monsieur Paul Biya, le président de la République. Je ne trouve pas nécessaire de t’écrire par son truchement, parce que je suis convaincu qu’il n’est ni ton promoteur ni ton propagateur. Je suis même sûr qu’il n’existe aucun lien de parenté entre lui et toi. Pour toutes ces raisons, je ne crois pas qu’il soit pertinent de t’écrire en me servant de sa boîte postale.

Je savais que tu avais une conception particulière de la vie. Car, pour toi, elle n’est digne d’intérêt que lorsque tu peux la débiliter et la ruiner. Ce que tu me fais découvrir cette année, c’est ton aversion à l’égard de la politique. En semant la panique et la désolation dans la démographie des Camerounais et en envoyant ad patres des citoyens nouvellement inscrits sur des listes électorales à la veille d’une élection présidentielle, tu prouves suffisamment que tu as horreur de la politique. C’est ton droit ! Les crises tunisienne, égyptienne, ivoirienne ou libyenne semblent te donner raison. En s’investissant, au moyen des bombes, des missiles et autres engins de mort, dans la reconfiguration de l’espace et du temps, suivant leurs appétits économiques, les maîtres du monde semblent te donner raison. Comment pouvoir aimer ce dont l’horreur et l’inhumanité sont avérées ?

Mais, mon cher, as-tu vraiment besoin d’émarger, au Cameroun, dans le budget de la pathologie et de la mort pour prouver à messieurs Obama, Sarkozy et Cameron que leur gouvernance du monde est fort horrible ? La méthode à laquelle tu recours me donne l’impression que tu as plutôt en vue la correction des contradictions de la société camerounaise : tu ne sévis, jusqu’ici, que dans la démographie des pauvres. Comme je ne te crois pas lâche, je me dis qu’à défaut de garantir aux pauvres la mobilité sociale pouvant  leur permettre de sortir de leur condition historique, tu as jugé bon de les soulager du poids d’une vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue. Ainsi débarrassée du fardeau politique que constituent les pauvres, la société camerounaise serait assurée de l’harmonie à laquelle elle aspire désespérément.

Mais, avant de faire preuve de si bonnes intentions politiques, tu aurais dû demander aux pauvres s’ils ne tenaient plus à mener cette vie de chiens errants qui les condamne à boire une eau dont la potabilité douteuse les contraint à nouer des contrats pathologiques et macabres avec toi. Enfin, permets-moi de te dire que tu as une manière de te montrer reconnaissant à l’égard des pauvres qui sont les seuls, au Cameroun, à te donner l’hospitalité. Au cas où tu l’aurais oublié, on ne tue pas son hôte, tout au moins dans la tradition africaine. Rappelle-toi toujours cet impératif éthique.

 

 

Pr. AYISSI Lucien

Université de Yaoundé I (Cameroun)

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