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10 octobre 2009 6 10 /10 /octobre /2009 07:23
INTERVIEW DU Pr Lucien AYISSI AU JOURNAL AUBE

 

 

Aube : En 2006, le Cameroun a connu de l’accélération de la lutte contre la corruption. Quels enseignements peut-on en tirer ?

 

Pr Lucien Ayissi : Le fait que quelques oligarques camerounais aient été arrêtés permet-il de penser que la lutte contre la corruption qui gangrène mortellement les institutions camerounaises a été accélérée ? J’en doute. Le principe de prédilection qui a présidé au choix et à l’arrestation de ces quelques oligarques est suspect de partialité. S’il est possible de procéder à l’arrestation de grands acteurs camerounais de la corruption sans que le régime ait à craindre pour sa stabilité et sa survie politiques, cela veut dire que la lutte contre la corruption peut s’étendre dans le sens de l’assainissement éthique et politique de la gouvernance en vigueur au Cameroun.

 

Aube : L’opération Epervier s’est notamment caractérisée par l’arrestation de certains dignitaires du régime. Faut-il en conclure que c’en est fini de l’impunité au Cameroun ?

 

Pr Lucien Ayissi : Bien que l’épervier, comme symbole, pose des problèmes de pertinence dans la lutte contre la corruption parce qu’il s’agit tout de même d’un rapace, il est souhaitable que cette opération de salubrité publique se poursuive, même s’il faut que d’autres dignitaires soient également mis aux arrêts. C’est de cette façon qu’on peut prouver que l’impunité n’existe plus au Cameroun.

 

Aube : A propos de ces arrestations, d’aucuns ont estimé qu’elles n’allaient pas restituer les fonds détournés. Est-ce là l’objectif majeur poursuivi ?

 

Pr Lucien Ayissi : Il m’est difficile de me prononcer sur l’objectif majeur poursuivi par le pouvoir dont je ne connais pas les secrets. Mais, je crois que le principe de la restitution des fonds détournés et de la réparation des dommages subis par l’Etat camerounais est bon en soi. Mais, lorsque le délit ou le crime est consommé, il ne suffit plus de restituer les fonds détournés ou distraits. Les scrupules tardifs de celui qui vole la puissance publique ne dissipent pas le caractère transgressif de son comportement. Pour des raisons pédagogiques, il faut donner à la prosopopée des lois l’occasion de s’exprimer. C’est lorsque les Camerounais s’habitueront à écouter la parole de la loi qu’ils pourront, par peur des sanctions, réprimer la tendance à l’appropriation de la chose publique et à la privatisation de l’Etat camerounais.

 


Aube : Les premiers procès ont démarré. Quelle lecture peut-on en faire ?

 

Pr Lucien Ayissi : Vous posez là un problème de possibilité. Il se pose plutôt à moi un problème de lisibilité. L’opacité qui a présidé au choix des oligarques à mettre aux arrêts ne risque-t-elle pas d’imposer sa nécessité  au déroulement et à l’issue du procès ? Les grandes figures socio-politiques que citent certains accusés seront-elles sommées de comparaître à la barre des tribunaux de la république ?

 

Aube : Peut-on se risquer de pronostiquer qu’en 2007, le Cameroun connaîtra moins de corruption et de détournements de deniers publics ?

 

Pr Lucien Ayissi : Il y a des chances que le Cameroun se mette résolument sur la trajectoire politique des Etats de droit. Il faut, pour cela, que le pouvoir continue de donner la preuve qu’il tient à corriger la crise de l’éthique républicaine qui sévit dangereusement dans la gouvernance camerounaise actuelle par une bonne éducation à la citoyenneté qui aide les Camerounais à intérioriser les principes de l’éthique de la chose publique. Sans une bonne pédagogie citoyenne qui prévienne et sanctionne les comportements transgressifs, le Cameroun risque d’être à jamais la métaphore politique de la corruption.

 

Aube : Un philosophe au Ministère de la communication : réelle satisfaction de reconnaissance d’une discipline parfois mal perçue ? Quel est l’état de la philosophie au Cameroun ? Quel rôle, d’après vous, doit-elle jouer en 2007 au niveau de la défense des valeurs immuables de justice, de responsabilité, de citoyenneté ?

 

Pr Lucien Ayissi : Je suis content pour le philosophe qui a été nommé ministre de la communication. Je le lui ai d’ailleurs fait savoir par courrier électronique. Mais, a-t-il été nommé en tant que philosophe ? Dans ce cas, pourquoi serait-ce lui et pas quelqu’un d’autre ? Si sa nomination procède d’une inavouable logique affinitaire sans rapport avec la philosophie, alors il y a très peu de chance qu’il puisse exister au gouvernement en tant que philosophe. Il me souvient que ce n’est pas la première fois qu’on fait à la philosophie l’honneur d’être représentée au gouvernement par l’un de ses ouvriers conceptuels. Cela a-t-il pour autant amélioré la qualité de la gouvernance camerounaise ? De quelle thaumaturgie politique la philosophie est-elle capable dans un système dont les valeurs s’accordent difficilement avec celles que le philosophe est censé promouvoir et défendre ? Enfin, si l’idéal veut qu’un philosophe soit juste, il ne suffit pas d’être philosophe pour l’être. Des philosophes injustes, intrigants, mesquins et fourbes, il en existe. Au sujet de l’état actuel de la philosophie au Cameroun, je peux dire que cette discipline se porterait à merveille si elle n’était pas soumise, par certains maîtres-gourous, à la logique obscure des sectes malfaisantes. En 2007, la philosophie doit continuer de jouer le rôle qu’elle a toujours su héroïquement jouer dans l’histoire pour la promotion et la sauvegarde des valeurs qui assurent à l’homme une bonne expression de sa citoyenneté et de son humanité dans le temps et dans l’espace.

 

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