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3 juillet 2007 2 03 /07 /juillet /2007 21:49


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LA LOGIQUE HÉDONISTIQUE DE L’HOMOSEXUALITÉ AU REGARD DE L’ÉTHIQUE DE LA VIE

Article publié dans les Annales de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Yaoundé 1, Volume 1, N° 10, Nouvelle série 2009, pp. 159-176.
RÉSUMÉ

 

La réflexion dans laquelle nous nous investissons dans cet article consiste à interroger l’hédonisme de l’homosexualité à la lumière de l’éthique de la vie. Il ressort de cette interrogation philosophique – qui réexamine non seulement le principe d’innocuité sur la base duquel on défend, depuis Jeremy Bentham, la libéralisation et la dépénalisation de l’homosexualité, mais aussi le principe de l’autonomie de ce mode de sexualité par rapport à une morale dont l’irruption dans la sphère érotique mériterait, d’après certains penseurs, d’être suffisamment justifiée – que la logique réductrice de l’hédonisme de l’homosexualité est, contrairement à celle, psychagogique et philosophique, de l’homophilie spirituelle de Socrate et de Platon, déficitaire par rapport à l’éthique de la vie. L’éthique du plaisir qui sous-tend cette logique réductionniste s’inscrit dans un utilitarisme et un consumérisme qui consistent à moraliser le plaisir charnel et à l’absolutiser, dans l’oubli de la préservation de la vie et de l’espèce humaines. Le problème de la logique hédonistique de l’homosexualité est qu’elle ne peut pas apporter des réponses appropriées à la question métaphysique liée à notre conatus.

 

Mots-clés : plaisir, vie, homosexualité, homophilie, hétérosexualité, hédonophilie, hédonophobie, homophobie, homoparentalité, hédonistique, hédonisme, utilitarisme, consumérisme, éthique.

 

ABSTRACT

The reflection with which we are preoccupied in this article consists in examining the hedonism of homosexuality in the light of the ethics of life. From this philosophical investigation, which re-examines not only the principle of harmlessness on whose basis, from Jeremy Bentham, the liberalisation and the decriminalisation of homosexuality is defended, but also the principle of the autonomy of this mode of sexuality in relation to a morality whose burst into the erotic sphere deserves, according to some thinkers, to be sufficiently justified, it appears that the reducing hedonistic logic of homosexuality is, contrary to the psychagogic and philosophic one, of the spiritual homophilia of Socrates and of Plato, which is showing deficit with regards to the ethics of life. The ethics of pleasure behind the reductionist logic is part of utilitarianism and a consumerism which consist in moralising and absolutising the bodily pleasure, while forgetting the necessary preservation of human life and human species. The problem of the hedonistic logic of homosexuality is that it cannot provide adequate solutions to the metaphysical question related to our conatus.

 

Key words: pleasure, life, homosexuality, homophilia, heterosexuality, hedonophilia, hedonophobia, homophobia, homoparenthood, hedonistic, hedonism, utilitarianism, consumerism, ethics.

 

 

INTRODUCTION

 

Dans le cadre des sociétés postmodernes qui se caractérisent par l’effondrement des interdits, la soif de la jouissance illimitée des libertés, conformément au principe selon lequel il est interdit d’interdire, on assiste à la libéralisation des mœurs, à l’instrumentalisation du corps, de manière à faire rimer l’hédonisme avec le consumérisme. C’est ainsi que l’homosexualité est sortie des placards des ghettos gays, comme pour contester l’hégémonisme multiséculaire de l’hétérosexualité dans la résolution des problèmes sexuels. Bien qu’une telle contestation agisse de plus en plus « sur un mode culpabilisateur qui se donne les gants vertueux des Droits de l’homme » et passe pour l’un des aspects de la critique des divers modes du totalitarisme, elle a surtout pour téléologie l’instrumentalisation du corps à des fins hédonistes. Dans les sociétés postmodernes, l’homosexualité a une fonctionnalité tout à fait différente de celle, psychagogique et philosophique, que Socrate et Platon assignaient, par exemple, à l’homophilie spirituelle dans le rapport érotisé de l’éraste à l’éromène. Détournée de la pédérastie métaphorique que promouvaient ces deux philosophes, l’homosexualité se subordonne principalement à la recherche des gratifications charnelles. De l’homophilie spirituelle de Socrate et de Platon à sa version charnelle, on passe évidemment du psychagogique à l’hédonistique. C’est à la sanction de l’éthique de la vie que nous allons, dans le cadre de cette réflexion, évaluer la pertinence du réductionnisme de la logique hédonistique de l’homosexualité qui destine exclusivement le corps à une finalité aphrodisiaque.

Pour ce, nous déterminerons d’abord la finalité pédagogique de la problématique socratique et platonicienne de l’homophilie. Nous établirons ensuite la logique hédonistique de la version charnelle de l’homophilie de Socrate et de Platon. Dans la troisième et la dernière articulation de cette réflexion, nous évaluerons l’homosexualité à la sanction de l’éthique de la vie.

 


I-LA PROBLÉMATIQUE DE L’HOMOPHILIE DANS LE RAPPORT DE L’ÉRASTE
   À L’ÉROMÈNE CHEZ SOCRATE ET PLATON

 

L’homophilie, cet attrait platonique du même par le même fondé sur des valeurs en rupture de référence avec les plaisirs charnels, consiste, chez Socrate et Platon, dans le noble rapport pédérastique devant s’établir, à des fins pédagogiques, entre l’éraste et l’éromène, tel qu’il s’illustre dans les relations que Socrate entretient avec de beaux garçons lorsqu’il discute avec eux sur la sagesse, la tempérance, le courage, la justice, l’amitié, la beauté, l’amour, etc., dans les palestres, sous les platanes et les oliviers des faubourgs d’Athènes. Si l’éraste et l’éromène sont liés par Éros, il ne s’agit pas, chez Socrate et Platon, de cet amour des corps dans le cadre duquel l’éraste exploite sexuellement l’éromène et le maintient, à terme, dans une condition de minorité psychologique et morale. L’homophilie que promeuvent ces philosophes se distingue donc de l’homosexualité proprement dite, notamment de la pédérastie vile et vulgaire qui consiste dans la domination de l’éromène à des fins de jouissance des plaisirs charnels que son corps de beau et jeune garçon peut procurer à l’éraste qui l’exploite sexuellement.

En effet, dans les Mémorables, Xénophon rapporte que Socrate condamnait non seulement l’amour grec en général, parce qu’il conseillait à ses interlocuteurs de « s’abstenir résolument » de rechercher les jouissances que procure le corps de beaux garçons, mais aussi et surtout le type de pédérastie qui s’inspire de la psychologie porcine, telle qu’elle est, par exemple, remarquable dans le rapport homosexuel que Critias voulait entretenir avec Euthydèmos. C’est ce que rapporte précisément Xénophon en ces termes : « Or, quand il [Socrate] s’aperçut que Critias était épris d’Euthydèmos et qu’il tentait de jouir de lui comme ceux qui usent du corps des autres pour satisfaire leurs désirs amoureux, il s’efforça de l’en détourner, en disant qu’il était indigne d’un homme libre et inconvenant pour un honnête homme de solliciter celui qu’il aime et dont il recherche l’estime en le priant et suppliant de lui accorder une chose qui n’est rien moins qu’honnête. Comme Critias restait sourd à ces exhortations et ne se laissait pas détourner de son dessein, on rapporte que Socrate dit, en présence de plusieurs personnes et d’Euthydèmos, que Critias lui paraissait être dans le cas d’un cochon en désirant se frotter contre Euthydèmos comme les cochons contre les pierres. » C’est le même blâme que Socrate adressa à Callias et à Critoblule qui se plaisaient dans la jouissance des délices charnelles que leur procuraient respectivement les corps des jeunes Autolycos et Clinias.

L’homophilie spirituelle que promeut Socrate, c’est-à-dire cet amour chaste qu’une âme éprouve pour une autre et qui l’emporte de beaucoup sur l’amour des corps, se distingue nettement de l’homosexualité dont la fin est la jouissance des délices sexuels. C’est ce que dit Socrate en ces termes : « les jouissances que donne la beauté physique amènent, je ne sais quel dégoût et l’on se lasse fatalement des mignons comme on se lasse des aliments, par la satiété ; mais on ne se dégoûte pas de l’amour de l’âme, parce qu’il est pur et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne perd rien en charmes. » La tonalité « hédonophobique » de l’homophilie spirituelle de Socrate est vérifiable à travers sa critique de la pédérastie vile et vulgaire qu’il partage avec Platon.

Dans Le Banquet, Platon établit, à travers le personnage de Diotime de la Mantinée, que l’amour véritable ne consiste ni à rendre hommage aux corps, ni à rechercher les divers agréments sexuels qu’ils sont susceptibles de procurer. Il réside plutôt dans l’enfantement dans la Beauté, moins selon le corps que selon l’esprit, car les œuvres de l’esprit sont à la fois immortelles et d’une très grande beauté, comparées à celles du corps, essentiellement soumises à la loi de la précarité. L’amitié consécutive à l’homophilie spirituelle est, par exemple, plus durable que le lien affectif qui unit les parents et les enfants dans l’ordre de la procréation.

Le véritable amour ne réside donc pas dans le commerce charnel, fût-il celui qu’Aghaton et Alcibiade désirent vainement entretenir avec un éraste aussi sage et vertueux que Socrate. D’après Platon, il ne s’agit pas, pour l’éromène, d’être en simple contact corporel avec l’éraste, comme le croit naïvement Aghaton, pour que sa sagesse lui soit transmise. Les rapports sexuels, notamment de type homosexuel, n’ont pas la fonctionnalité des vases communicants. Par conséquent, ils ne peuvent pas avoir la plus-value épistémologique et éthique que croit pouvoir leur reconnaître Alcibiade qui se plaint que Socrate n’ait pas daigné louer ou honorer Éros, en nouant un rapport homosexuel avec lui. La transmission de la sagesse et de la vertu, donc de l’humeur virile aux jeunes garçons, n’est possible que par l’éducation dans le rapport homophilique d’une âme à une autre et non par des rapports charnels. C’est pour cette raison que Socrate ne peut pas donner suite aux appétits homosexuels du bel Aghaton ou du bel Alcibiade, ni instruire efficacement Hippothalès sur ce qu’il doit dire à Lysis pour accéder à la jouissance sexuelle de son corps.

Comme le souligne Guy Bouchard, la « paidéia homosexuelle » de Platon a une fonction psychagogique ; elle consiste, pour l’éraste, à déshabiller l’âme et non le corps de l’éromène pour en contempler la beauté ou pour pouvoir l’aider à l’embellir, si sa laideur est telle que l’éraste ne puisse pas la contempler en l’état. L’homophilie spirituelle relève d’une stratégie pédagogique inversée où, comme cela est illustré dans Le Banquet de Platon, l’éraste s’attache à l’éromène, afin que ce dernier finisse par l’adopter comme son maître, non pas pour obtenir de lui d’éventuelles gratifications sexuelles, mais pour s’initier à la philosophie, gage de la sagesse et de la vertu.

Chez Socrate et Platon, la critique de la pédérastie vile et vulgaire a pour fin la sublimation de l’homosexualité vulgaire dans le sens de la culture et du développement de la sagesse et de la vertu chez l’éromène, en amenant ce dernier à soumettre les dimensions esthétique et érotique de son corps à la pédagogie philosophique. Il s’agit d’aider l’éromène à éduquer son corps, quitte à en faire le deuil, afin que son âme survive à la pression habituelle des charmes et des agréments corporels.

L’ « hédonophobie » caractéristique de cette version sublimée de l’homosexualité vulgaire cache mal l’homophobie réelle de Socrate et de Platon : en recommandant aux jeunes gens comme Euthydèmos, Autolycos, Aghaton, Alcibiade ou Charmide et aux hommes âgés comme Critias, Callias ou Khairéphon de s’élever, par la philosophie, de la physis corporelle soumise à la pression hybrique des aphrodisia, c’est-à-dire des plaisirs de la chair, vers la sagesse et la vertu qui assurent à l’âme la continence et la mesure que son incarcération compromet habituellement, ces deux philosophes se prononcent contre l’amour grec. C’est dans le procès de la pathologisation du corps, tel qu’il est remarquable chez Socrate et Platon, qu’il est facile de relever l’homophobie réelle de ces philosophes. Si Socrate recommande à Xénophon et à Critobule de fuir les beaux garçons, dussent-ils s’exiler pour un an, c’est parce que l’homosexualité procède d’un amour pathologique qui corrompt la sagesse de celui qui s’y adonne et ne produit que des plaisirs vulgaires, grossiers éphémères et même ambigus. Pour Platon, elle est le propre de ceux qui, livrés à la passion et asservis par la volupté, cherchent nécessairement à tirer de ceux qu’ils aiment tout le plaisir sexuel possible. Ce sont, d’après ce philosophe, des esprits malades qui éprouvent du plaisir à soumettre autrui au contentement de leurs appétits sexuels. C’est cela qui explique pourquoi il condamne systématiquement les hommages que les hommes âgés tiennent habituellement à rendre aux corps de beaux garçons. Aussi comprend-on que dans le Charmide, contrairement à Khairéphon qui célèbre la beauté corporelle du jeune Charmide, Socrate préfère contempler celle de son âme.

Pour Socrate et Platon, le type de relation à construire et à promouvoir entre l’éraste et l’éromène doit se fonder sur l’homophilie spirituelle, cet amour chaste qui est défini par la bienveillance de l’éraste envers l’éromène et la déférence de ce dernier vis-à-vis du premier. D’après eux, le devoir de l’éraste consiste à voir si l’âme de l’éromène est chargée de promesses d’humanité, c’est-à-dire de sagesse et de vertu. Dans le cas contraire, il importe de l’orienter vers ces valeurs, ou, ce qui revient au même, d’amener l’éromène à dompter le corps qui assure habituellement le triomphe des préférences appétitives sur les valeurs spirituelles. C’est donc par l’éducation des jeunes à la philosophie, à travers une paideia métaphoriquement homosexuelle, que ces deux philosophes inaugurent, comme l’a établi Guy Bouchard, un double écart par rapport à l’homosexualité couramment pratiquée chez les Grecs de leur époque. Ceux qui, souligne Alcibiade à l’intention d’Aghaton dans Le Banquet de Platon, comme Charmide et Euthydème, ont pensé que les relations que Socrate entretient avec les beaux garçons sont motivées par le désir sexuel, se sont laissés « duper » par ce philosophe. C’est en cessant d’être l’amant pour jouer désormais, en tant que modèle de sagesse et de vertu, le rôle de « bien-aimé », que l’éraste peut facilement aider l’éromène à se perfectionner. Il importe donc que le rapport homophilique de l’éraste à l’éromène soit libéré de la servitude sexuelle qui lui impose, notamment dans le cadre de l’érotique vulgaire, un déterminisme moralement délétère.

Socrate et Platon condamnent l’homosexualité pour son réductionnisme et sa contre-productivité : en dehors du fait que cette option sexuelle est, au plan pédagogique comme dans l’ordre de la procréation, frappée de stérilité, elle se réduit également à une production, dépourvue d’amour véritable, compte tenu du fait qu’elle est fondée sur la recherche des plaisirs vulgaires, grossiers, éphémères et ambigus.

À l’homosexualité définie par un hédonisme fort réducteur, Socrate et Platon préfèrent l’homophilie spirituelle à cause de sa fécondité et de sa réversibilité : Alcibiade dont le rêve était d’entretenir un commerce homosexuel avec Socrate, est si impressionné par la sagesse et la continence de ce grand philosophe qu’il se résout plutôt à régler désormais son être et son agir sur ce modèle de sagesse et de vertu.

De l’homophilie divinisée par Socrate à l’homosexualité, on glisse facilement du pédagogique à l’hédonistique.

 

II-DE L’HOMOPHILIE PÉDAGOGIQUE À L’HOMOSEXUALITÉ :

    L’HÉDONISTIQUE D’UNE ORIENTATION SEXUELLE

   

            L’homophilie pédagogique de Socrate et de Platon correspond parfaitement à l’esprit et à la lettre de leur philosophie qui prône un ascétisme éthico-médical destiné à empêcher Éros de tyranniser et de débiliter l’âme de l’éraste et de l’éromène. La recherche des plaisirs charnels dans les rapports homosexuels, fussent-ils entretenus avec des personnes vertueuses, relève d’une passion stérile, parce qu’elle se subordonne à la simple recherche d’agréments dans l’exploitation sexuelle de la beauté des corps. Étant donné qu’il se destine à la recherche exclusive des aphrodisia, ce genre de passion n’est qu’une reproduction adultérée de l’amour du Beau en soi que la philosophie est seule apte à garantir. L’homosexualité que condamnent Socrate et Platon est donc la forme pervertie de l’homophilie pédagogique ou spirituelle. C’est pour cela qu’ils dénoncent l’hédonisme auquel se réduit l’homosexualité à partir de trois principaux arguments :

1- l’argument de la stérilité : la stérilité de l’homosexualité relève généralement d’une passion sans amour qui n’enfante rien ni dans l’ordre de la procréation, ni dans l’âme de l’éromène.

2- L’argument de la précarité : les agréments que procure l’homosexualité sont si évanescents qu’ils font courir l’amant ou l’éraste sexuellement frivole et cupide, d’un beau corps à un autre.

3- L’argument de la domination et de l’exploitation : l’instrumentalisation homosexuelle de beaux garçons s’inscrit dans une logique hédonistique dans le réductionnisme de laquelle le mignon ou l’éromène est assimilé à une simple source de plaisirs charnels que l’amant ou l’éraste doit soumettre et exploiter pour pouvoir contenter pleinement ses désirs sexuels.

C’est contre cet hédonisme instrumental que Socrate et Platon ont élaboré une nouvelle éthique de l’Éros aux accents homophobiques, mais évidemment « hédonophobique ». À la différence de l’érotique courante caractérisée par l’incontinence, l’excès ou l’orgie dans la recherche des aphrodisia, cette nouvelle éthique se définit, suivant le commentaire de Michel Foucault, comme la « stylisation » rationnelle des plaisirs dans le sens de la promotion de la sagesse et de la vertu.

Qu’on ne soit donc pas victime des mots lorsque, dans Le Banquet de Xénophon, Socrate se dit fier, au grand scandale de ses interlocuteurs, d’être un habile entremetteur entre les hommes. Qu’on ne se méprenne pas non plus sur la prière qu’il adresse ironiquement à Éros dans le Phèdre en ces termes : « cher Éros, (…) accorde-moi (…) d’être prisé plus que jamais dans la société des beaux garçons ». L’éraste divin que souhaite devenir Socrate n’est pas celui qui cherche à assouvir ses plaisirs sexuels dans l’usure du corps de beaux garçons, mais plutôt celui qui, au moyen de sa sagesse et de sa vertu, consacre résolument toute « sa vie à l’amour réglé par la philosophie ». Si cet éraste fait, comme l’affirme Diotime dans Le Banquet de Platon, partie de la population des « hommes divins », c’est parce qu’il est ce modèle de sagesse, de continence, de prudence et de justice qui est seul à même de donner un sens heureux à l’aspiration de l’éromène à la Beauté et à l’Immortalité.

            La volonté philosophique exprimée par Socrate et Platon de cartographier moralement les plaisirs dans une Grèce antique où on ne distingue pas, comme c’était par exemple le cas à Rome, les plaisirs infâmes, ceux dont l’impudicité était due au fait qu’on les recherchait servilement, des plaisirs nobles qu’on se donnait virilement, s’explique chez ces philosophes, par le souci de promouvoir l’homophilie spirituelle, opératrice de vertu et de mesure aussi bien dans l’âme de l’éraste que dans celle de l’éromène. L’homophilie spirituelle à promouvoir est la réponse philosophique que ces deux philosophes proposent à la crise de l’éducation qui sévit dans un contexte sociopolitique défini par une tolérance éthique quasi permissive. Cette crise est aggravée par l’exploitation abusive de la démocratie par les sophistes qui font prospérer des modèles éthiques et politiques dont la cohérence et la pertinence sont problématiques. Cette réponse consiste précisément en la sublimation de l’homosexualité vulgaire dans une relation exclusivement pédagogique devant se finaliser sur l’élévation des jeunes garçons à la philosophie.

Comme le rappelle Michel Foucault, c’est pour définir les principes d’une conduite rationnelle et moralement fondée sur l’idéal de tempérance, de fidélité monogamique et de chasteté rigoureuse, sur le modèle duquel les Grecs de leur époque ne réglaient pas généralement leur mode de vie, que Socrate, Platon et Aristote ont élaboré « une pensée philosophique, morale et médicale ». Cette pensée philosophique commande qu’on élabore des « arts d’existence » ou des « techniques de soi » consistant en « pratiques réfléchies et volontaires par lesquelles les hommes, non seulement se fixent des règles de conduite, mais cherchent à se transformer eux-mêmes, à se modifier dans leur être singulier, et à faire de leur vie une œuvre qui porte certaines valeurs esthétiques et réponde à certains critères de style. » À ces règles de conduite et à ces pratiques réfléchies, ces philosophes assignaient une fonction que Foucault qualifie d’ « étho-poétique », puisqu’elle avait pour rôle d’ « esthétiser » et d’ « éthiciser » les aphrodisia.

            Mais, c’est plutôt l’homosexualité que condamnaient sévèrement Socrate et Platon, en vertu du principe de l’économie ascétique ou sacrificielle, que défend vigoureusement, vers les années 1770, Jeremy Bentham, en se fondant sur la logique hédonistique qui régit l’économie du plaisir. Suivant cette logique hédonistique que sous-tend le principe d’utilité, il faut évaluer la sexualité non pas en fonction de sa finalité procréatrice, mais plutôt à partir du plaisir qu’elle procure. Afin de démonter les arguments auxquels on recourt dans l’économie ascétique ou sacrificielle pour abominer et criminaliser l’homosexualité, Bentham mobilise son utilitarisme hédoniste contre l’ascétisme philosophico-religieux de Platon, d’Aristote, de saint Paul, de saint Augustin et de saint Thomas. Pour lui, le défaut de l’économie sacrificielle de l’ascétisme est qu’elle recommande effectivement de sacrifier les plaisirs d’ici-bas dans l’espoir de jouir, dans une vie future, de ceux qui ont plus d’authenticité et qui sont soustraits au temps. Pour Bentham, lorsque l’homosexualité ne nuit à personne et qu’elle s’insère parfaitement dans la grande logique sociale de maximisation des plaisirs ou du bonheur pour le plus grand nombre, il est à la fois aberrant et injuste de l’abominer et de la stigmatiser. Lorsqu’on soumet, d’après lui, l’homosexualité à la logique du calcul utilitariste, on ne perd rien à la pratiquer, puisqu’il s’agit d’une préférence sexuelle dont l’innocuité et l’utilité sont avérées. Mais, lorsqu’on la soumet à la sanction répressive de l’ascétisme éthico-juridique, le remède s’avère pire que le mal qu’on prétend combattre, car les mesures répressives qu’on adopte contre une homosexualité préalablement abominée et criminalisée, parce qu’elle est l’expression d’un « désir sexuel infécond » ou d’un « appétit vénérien non prolifique », finissent par produire un effet thérapeutique pervers.

            Pour Bentham, la condamnation de l’homosexualité procède d’une confusion qui consiste à pénaliser ce qui relève plutôt de la déontologie. D’après ce juriste et philosophe anglais, on ne saurait légitimement soumettre à des sanctions pénales des actes sexuels dont l’innocuité et l’utilité sont pourtant vérifiables. C’est sur la base de son utilitarisme hédoniste qui donne sur le libéralisme, que Bentham critique la répression et la criminalisation dont l’homosexualité est l’objet. Son libéralisme, remarquable à travers sa défense de la liberté sexuelle, consiste à recourir librement au mode de sexualité qui est susceptible de produire non seulement les plaisirs recherchés par soi, mais aussi ceux dont la maximisation peut susciter le bonheur du plus grand nombre. Selon lui, les relations sexuelles doivent être aussi libéralisées que les relations intellectuelles et économiques à partir du critère exclusif de l’utilité ou de l’intérêt. Du moment où ils traduisent le consentement de ceux qui y prennent part, ne nuisent à personne et procurent du plaisir à ceux qui les entretiennent, les relations homosexuelles ne méritent pas d’être condamnées. Pour Bentham, l’homosexualité offre à l’homme la possibilité d’affirmer sa liberté dans la recherche des plaisirs vénériens par rapport à la nature et aux contraintes d’une hétérosexualité consacrée par la culture de la procréation. D’après lui, Platon a tort d’insister, dans Les Lois, sur la nécessité de protéger la cité contre la pollution éthique et le risque d’instabilité, consécutifs non seulement à la pratique de l’adultère et de l’inceste, mais aussi à celle de l’homosexualité qui peut dangereusement « porter à l’espèce humaine un coup fatal ».

Ce qu’il est permis de relever dans l’utilitarisme et le libéralisme benthamiens, c’est l’approche réductionniste qu’ils ont en partage, celle dans laquelle le corps est simplement réduit à la production des plaisirs dont la maximisiation peut contribuer au bonheur du plus grand nombre. C’est ce réductionnisme hédoniste qui permet à Bentham d’invalider les arguments philosophico-religieux qui justifient l’abomination, la criminalisation et la répression de l’homosexualité.
C’est à la problématisation de cette éthique du plaisir que nous allons maintenant procéder à la lumière de l’éthique de la vie.

           

III-DE L’ÉTHIQUE DU PLAISIR À L’ÉTHIQUE DE LA VIE : LES PROBLÈMES

      DE LA LOGIQUE HÉDONISTIQUE DE L’HOMOSEXUALITÉ

    

Bien que nous entreprenions de soumettre l’homosexualité à la sanction de l’éthique de la vie, nous ne voulons pas revenir sur les formes classiques de problématisation morale de la sexualité en général et de l’homosexualité en particulier, formes auxquelles Foucault a donné, dans les trois tomes de son Histoire de la sexualité, un traitement philosophique fort respectable. Le mode de problématisation qui nous intéresse dans le cadre de cette réflexion consiste à interroger la contribution possible de l’homosexualité dans la résolution du problème du conatus, notamment dans la réponse essentielle que l’homme et l’humanité tout entière doivent apporter à la question de la préservation de l’être humain et de son espèce dans le temps. L’objectif de ce type de problématisation, qui évite la complexité des débats relatifs à l’historicité ou à la constitutionnalité possibles ou réelles de l’homosexualité, est de savoir si la « stylisation » de la vie humaine sur le mode homosexuel peut vraiment se fonder, comme le prétend par exemple Bentham, sur le principe d’innocuité, quand on sait que le mépris de l’homosexualité pour la vie au profit des plaisirs charnels et sa systématisation éventuelle peuvent porter un coup fatal à l’espèce humaine.

Il ne s’agit donc plus, pour nous, de revenir sur la question de savoir s’il est approprié d’affecter à l’homosexualité un intérêt éthique bien qu’elle procède d’un agir qui relève précisément de la sphère érotique. Si l’homosexualité relève, comme l’a établi Michel Foucault, d’un style de vie en rupture par rapport aux contraintes biopolitiques d’un mode d’organisation sociale répressif, parce que traditionnellement fondé sur la moralisation et la spiritualisation de la famille, c’est l’éthique du plaisir qui sous-tend ce style de vie dont il s’agit d’évaluer la pertinence à la lumière des impératifs de l’éthique de la vie, compte tenu du fait qu’elle moralise le plaisir sexuel dans l’oubli de la vie humaine qui est pourtant censée le garantir dans le temps et dans l’espace.

Par éthique du plaisir nous désignons cet hédonisme réducteur qui moralise absolument le plaisir parce qu’il le conçoit non seulement comme l’unique bien que l’homme doive rechercher, mais aussi la téléologie suprême de son être et de son existence. La subordination de la vie à la recherche d’un plaisir charnel moralisé et absolutisé trouve dans le consumérisme caractéristique des sociétés postmodernes, la possibilité d’accroître le pouvoir de transgressivité du désir par rapport à l’interdit. Elle ne coïncide incidemment avec l’impératif du conatus que si la vie à préserver peut aider au renouvellement de la démographie des acteurs appelés à collaborer à la reproduction des plaisirs sexuels.

C’est à ce niveau qu’il importe de souligner la différence qui existe entre l’éthique du plaisir et l’éthique de la vie. À la différence de l’éthique du plaisir qui consiste en la moralisation et en l’absolutisation du plaisir, l’éthique de la vie prescrit le respect et la préservation absolus de la vie humaine, compte tenu de sa somptuosité, contre toutes les formes de conduite susceptibles d’en appauvrir la qualité ou de l’aliéner. Ici, le devoir de respecter et de préserver absolument la vie est un impératif catégorique, puisqu’il n’est ni conditionné par le plaisir ni par l’intérêt politico-économique dont la vie humaine peut éventuellement s’accompagner dans l’histoire.

S’opposent donc tout à fait à l’éthique de la vie, les préférences sexuelles qui se finalisent exclusivement sur le culte utilitariste et hédoniste du corps. En se destinant simplement à la jouissance aphrodisiaque par la création de nouveaux types de plaisirs en rupture du devoir de préserver la vie humaine dans le temps, l’homosexualité nous apparaît dans toute la pauvreté du contenu éthique de son hédonisme réducteur. C’est cela qui fait penser à Stéphanie Goetzmann (2001) que ce n’est pas l’âme sœur qui est réellement recherchée dans l’homosexualité, mais l’hédonisme qui est sa dimension importante.

Il s’agit effectivement d’une approche réductionniste de la sexualité parce qu’elle se limite à la production élective d’un plaisir charnel à la recherche et à la jouissance duquel le semblable n’implique que son semblable, comme s’il avait peur d’aliéner son identité en contractant une relation sexuelle avec le différent. L’élection du même (homos) comme partenaire avec lequel l’homosexuel construit la relation aphrodisiaque qui peut lui permettre de retrouver sa « mêmeté », a pour conséquence le rejet de l’altérité. Ce rejet qui s’opère à travers le repli narcissique du même sur lui-même, se constate dans une logique hédonistique dans le cadre de laquelle les homosexuels tiennent à affirmer leur droit à la différence dans l’exclusion paradoxale du différent.

Au-delà donc du rejet de l’altérité dans l’établissement d’une relation aphrodisiaque au cours de laquelle le partenaire digne de collaborer avec le même à la résolution des problèmes sexuels est celui qui lui renvoie spéculairement sa propre image, l’homosexualité est, compte tenu de l’ « hédonophilie » à laquelle elle se réduit pratiquement, déficitaire par rapport à l’éthique de la vie. Elle procède de l’option utilitariste et consumériste parce qu’elle se destine exclusivement à l’instrumentalisation hédoniste du corps en rupture avec la nécessité de préserver, par la procréation, la vie et l’espèce humaines, mais paradoxalement en référence au paradigme hétérosexuel dont les homosexuels reproduisent effectivement les rôles différentiels ou les clivages sexués dans la répartition des fonctions sexuelles qu’ils sont appelés à jouer au cours de la recherche et de la production des aphrodisia. Vidé, dans ce cas, de sa fonction procréatrice, le corps n’est plus qu’une simple industrie de plaisirs dont on peut, suivant ses appétits et ses intérêts, facilement « sexualiser » les parties que la nature n’a pas destinées à la production des aphrodisia et marchandiser l’esthétique et les vertus charnelles. C’est cela qui amène Nkolo Foé (2006) à établir un parallèle entre la logique économique du capitalisme et la logique hédonistique de l’homosexualité : de même, dit-il, que « le capitalisme plume ses victimes en feignant de renforcer leur puissance », de même la logique hédonistique de l’homosexualité ravale l’homme au rang d’instrument utile à la production des plaisirs sexuels, mais en suscitant en lui le sentiment illusoire de souveraineté ou de toute-puissance . Devenu la mesure de tous les plaisirs charnels, le corps est, dans les sociétés postmodernes, l’objet de toutes les convoitises, le point focal de toutes les formes de concupiscence, bref de tous les assauts ayant pour objectif la recherche effrénée des plaisirs sexuels et des intérêts économiques.

Les homosexuels respectent le principe hédoniste qui régit l’éthique du plaisir dans l’antinomie, car ils n’assument pas les conséquences de leur « hédonophilie ». Leur inconséquence est établie lorsqu’ils revendiquent à cor et à cri le droit à l’homoparentalité. Par une telle revendication, les homosexuels rendent un hommage inavoué à la vie dont le défaut de préservation est nécessairement préjudiciable à l’expression de leur « hédonophilie » dans le temps. La matrimonialité homosexuelle qui est déjà institutionnalisée dans certains pays du monde, mais qui parodie celle des couples hétérosexuels, n’apporte au problème de la préservation de la vie et de l’espèce humaines que des solutions d’emprunt, celles que les homosexuels ne produisent artificiellement que par la voie détournée de cette homoparentalité problématique qui recourt à l’adoption des enfants ou à la procréation médicalement assistée par une biotechnologie chargée de produire les mêmes résultats que ceux que l’on obtient au terme des rapports hétérosexuels naturels. L’homoparentalité est aussi problématique, dans la mesure où il est difficile d’établir si elle fait l’économie ou la provision des normes de parenté qui régissent la famille traditionnellement structurée suivant l’ordre de procréation hétérosexuelle. Que deviennent, par exemple, les notions de fraternité, de consanguinité, d’inceste, etc. dans cette procréation de sous-traitance qui se pratique transgressivement par rapport aux règles sociales et aux normes éthiques d’une parenté pourtant construite sur une base hétérosexuelle ?

En essayant de résoudre le problème de préservation de la vie par l’adoption des enfants procréés au moyen des relations entre deux corps sexués et différenciés, l’homosexualité semble reconnaître tacitement les limites éthiques de son utilitarisme et son hédonisme. Les mécanismes par lesquels les homosexuels veulent aussi fonder des familles et avoir le statut social de parents, relèvent, à proprement parler, de l’imposture, puisque l’homosexualité s’inscrit, en réalité, dans une logique utilitariste dans la finalité hédoniste et consumériste de laquelle le problème de la survie de l’homme et de son espèce n’a pas de place et ne peut, par conséquent, trouver que des solutions juridiques fort bricolées.

 Dans l’ordre des problèmes que pose l’hédonisme auquel se subordonne l’homosexualité, il y a celui de la portée sociale du principe de libéralisation de la sexualité en vertu duquel les homosexuels entendent défendre leur droit d’exister ou, ce qui revient au même, d’avoir un style de vie différent, lorsqu’on sait qu’un tel principe a pour référence l’utilité ou la jouissance aphrodisiaque et non la vie et la préservation de l’espèce humaine. Peut-on, par exemple, sur la base de ce principe tout comme celui de l’autonomisation de la sexualité contre un moralisme jugé répressif et intolérant, défendre de façon pertinente la libéralisation et la dépénalisation de la pédosexualité, de la zoosexualité et de la marchandisation du corps, sous prétexte qu’elles correspondent à l’exigence de la tolérance ou sont conformes à l’utilitarisme hédoniste et consumériste ?

À moins de « paradigmatiser » le zoologique, est-il vraiment pertinent de défendre, comme le prétend Paul-Aarons Ngomo, l’autonomie sexuelle contre l’éthique si la sexualité humaine relève d’une pratique qui est nécessairement moralisée en fonction de la téléologie à laquelle la société la subordonne ? La défense en légitimation de l’autonomie sexuelle ne relève-t-elle pas déjà d’une approche moralisante qui réfute son propre principe, celui que Ngomo convoque à la suite de Jeremy Bentham et de John Stuart Mill ? Autrement dit, ne se rend-il pas compte qu’en dénonçant la moralisation injustifiée ou injustifiable d’une sexualité dont il prescrit la libre pratique, il n’évite pas lui-même les pièges de la fameuse is-ought question de David Hume qu’il convoque ? Pour sauver l’homosexualité de l’abomination, Ngomo (Ibid.) a-t-il vraiment raison d’abominer la morale en l’assimilant abusivement à l’inquisition ?

Bien qu’elle relève d’abord de la sphère érotique, c’est-à-dire du cadre de la prémoralité et de la préjuridicité, la sexualité humaine diffère de la sexualité de type zoologique parce qu’elle est toujours encadrée, c’est-à-dire esthétisée et moralisée au moyen d’artifices éthico-juridiques. Si elle s’organise et se pratique en fonction des normes auxquelles l’homme recourt pour actualiser son humanité et affirmer sa différence par rapport aux bêtes, cela veut dire qu’elle ne peut pas se soustraire à la sanction de la morale.

En formatant les relations humaines dans le sens de la production des plaisirs sexuels non prolifiques, l’homosexualité apparaît comme une préférence sexuelle dont la dangerosité pour la vie, la famille, la société et l’humanité est vérifiable. La posthumanité qu’elle prétend, par exemple, promouvoir par l’artificialisation de la procréation au moyen des biotechnologies, a pour fin la destruction de l’hétérosexualité, fondement de la famille classique et, par conséquent, de la société. La prétendue innocuité de l’homosexualité n’est plus assurée du moment où sa dangerosité pour la vie et l’espèce humaines peut être prouvée. Le triomphe de la jouissance aphrodisiaque qu’elle garantit sur l’impératif lié à la préservation de la vie et de l’espèce humaines, dénonce effectivement l’homosexualité comme une option sexuelle dangereuse, car s’il arrivait à la maxime de l’agir de l’homosexuel d’acquérir l’universalité des lois de la nature, cela compromettrait à coup sûr la volonté de l’humanité de persévérer dans son être.

 

CONCLUSION

 

Si Socrate et Platon ont promu une homophilie spirituelle d’une « hédonophobie » suspecte d’homophobie, c’est par rapport à leur volonté de cartographier moralement les plaisirs à une période où l’expression licencieuse des préférences appétitives faisait cyniquement l’impasse sur la détermination des valeurs humaines à cultiver et à développer. Comme nous l’avons établi, une telle volonté relève du souci de promouvoir la sagesse et la vertu qu’on sacrifie inconsidérément sur l’autel d’un hédonisme instrumental. L’homosexualité qui s’inscrit dans cette logique hédonistique relève d’un style vie qui consiste à subordonner absolument la sexualité à la production des aphrodisia. Sa prédilection pour les plaisirs évanescents et ambigus est si dangereuse pour la vie et l’espèce humaines que son innocuité ne peut être établie qu’au moyen du type d’arguments spécieux dont se sert Jeremy Bentham dans sa Défense de la liberté sexuelle. Au regard de l’éthique de la vie, l’homosexualité se discrédite parce qu’elle donne au plaisir sexuel, la survisibilité qu’il ne mérite pas. Il dévalorise considérablement le corps en le réduisant à la fonction banale de fabrique des aphrodisia. Le droit d’exister librement qu’elle revendique, tout comme le militantisme et le prosélytisme auquel elle recourt pour jouir socialement de ce droit, doit davantage se justifier, car le principe d’utilité hédoniste qui gouverne l’éthique du plaisir dans laquelle s’inscrit totalement l’homosexualité, pose de sérieux problèmes de pertinence lorsqu’il s’agit d’apporter des réponses concrètes à la question métaphysique liée à notre conatus. Les homosexuels sabordent eux-mêmes la logique hédonistique qui structure leur style de vie lorsqu’ils défendent leur droit à une homoparentalité et à une matrimonialité de parodie, puisqu’elles se réfèrent au style de vie hétérosexuel. Tant que l’homosexualité dont l’histoire de l’humanité surabonde d’exemples dans la Grèce et la Rome antiques n’a qu’un intérêt hédoniste pouvant, tout au plus, avoir une extension politique et économique, elle doit, au regard de l’éthique de la vie, bien se pourvoir en arguments logiques et mieux se constituer pour défendre efficacement sa légitimité présumée.

 

NOTES

- Véronique Hervouët, « L’homosexualité, nouvel avatar de la « libération sexuelle » et cheval de Troie du néolibéralisme », in www.communautarisme.net, site de l’Observatoire indépendant d’information et de réflexion sur le communautarisme, la laïcité, les discriminations et le racisme, 2007.

2- Xénophon, Mémorables, Livre I, Chapitre III, 9, p. 302.

3- Ibid., Livre I, Chapitre II, 29-30, pp. 293-294.

4- Xénophon, Le Banquet, Chapitre VIII, 15, p. 289.

5- Platon, Le Banquet, 208b-210b, pp. 70-71.

6- Ibid., 175c-176c, p. 35.

7- Ibid.

8- Ibid., 218a-219a, p. 80.

9- Platon, Lysis, 210e-211d, p. 324.

10- Bouchard, Guy, « La ‘‘Paideia’’ homosexuelle : Foucault, Platon et Aristote », in http://www.bu.edu/Wep/Papus/Gend/Gendbouc.htm, 1998.

11- Platon, Charmide, 154d-155c, p. 275.

12- Xénophon, Mémorables, Livre I, Chapitre III, 13, p. 303.

13- Ibid., III, 8, p. 302.

14- Platon, Phèdre, 238e-239d, p. 116.

15- Platon, Charmide, 154d-155c, p. 275.

16- M. Foucault, Histoire de la sexualité, tome 2 : L’usage des plaisirs, Paris, Tel/Gallimard, 1984, p. 255.

17- Platon, Le Banquet, 221e-222e, p. 84.

18- Ibid., 219a-220a, p. 81.

19- Xénophon, Le Banquet, Chapitre VIII, 20-30, p. 291.

20- M. Foucault, op. cit., p. 244.

21- Platon, Le Banquet, 212c-213b, p. 74.

22- Ibid.

23- Xénophon, Le Banquet, VIII, 39-42, pp. 292-293.

24- Platon, Phèdre, 256d-257c, p. 136.

25- Ibid.

26- Platon, Le Banquet, 208b-210b, pp. 70-71.

27- M. Foucault, Histoire de la sexualité, tome 3 : Le Souci de soi, Paris, Tel/Gallimard, 1984, p. 272.

28- M. Foucault, Histoire de la sexualité, tome 2 : L’Usage des plaisirs, pp. 51, 243, 247.

29- Ibid., p. 322.

30- Ibid., p. 18.

31- Ibid., p. 21.

32- J. Bentham, Défense de la liberté sexuelle. Écrits sur l’homosexualité, traduit de l’anglais par Évelyne Meziani, Postface de Christian Laval, Éditions Mille et une nuits, 2004, p. 133.

33- Cf. La Sainte Bible, Lévitique 18, 22 : « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. » Le fait pour un mâle de « coucher avec un mâle » n’est pas seulement abominable pour sa contre-naturalité ; cela fait aussi partie des actes qui sont contraires à la volonté divine et qui relèvent des vices qui, comme l’impudeur, l’idolâtrie, l’adultère, la dépravation (1 Corinthiens 6, 9) le trafic des hommes, le mensonge, le parjure (1 Timothée 1, 10) sont rédhibitoires pour l’accès au royaume de Dieu.

34- J. Bentham, op. cit., pp. 53-56.

35- Ibid., pp. 23-28.

36- Ibid., pp. 115-116.

37- Ibid., Postface de Christian Laval, p. 125.

38- Cf. J. Bentham, op. cit. L’homosexualité est considérée au XVIIIe et au XIXe siècles soit comme un « crime contre soi-même », soit comme un « crime contre nature » ou un « crime infâme ». Elle passe aussi soit pour un « crime sans nom », soit pour le « crime des sodomites ».

39- Ibid., pp. 127-128.

40- Ibid., p. 126.

41- Platon, Les Lois, Livre VIII, 838b, p. 934.

42- Ibid., Livre VIII, 840de, p. 938.

43- Ibid., Livre VIII, 838e-839a, p. 935.

44- Nkolo Foé, « Ajustement culturel et transition ‘‘postmoderne’’ en Afrique ». Communication faite à Pretoria en Afrique du Sud dans le cadre d’un colloque organisé par le Codesria sur le thème : Economic, Political, Social, Cultural, and Technological Transformation in Africa, 26-27 octobre 2006.

45- Paul-Aarons Ngomo, « L’hétérosexisme comme moralisme : défense de l’autonomie sexuelle », in Terroirs. Revue africaine de sciences sociale et de philosophie, 1-2/2007, p. 53.

 

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Pr Lucien Ayissi

Université de Yaoundé 1.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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