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16 octobre 2010 6 16 /10 /octobre /2010 05:11

 

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C’est ce qu’on entend de plus en plus dans certains carrefours de la ville de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Parmi ceux qui s’adressent ainsi à vous, au niveau des feux de la route, il y a des hommes et des femmes apparemment valides et mentalement sains. En prenant la formulation de leur épreuve au pied la lettre, on peut avoir l’impression qu’il s’agit d’une possession à la déclaration de laquelle ils procèdent sur la voie publique comme pour impliquer autrui, en tant que témoin, dans sa stabilisation. Avoir faim, tout comme avoir de l’argent, une automobile ou une résidence, passe alors pour la déclaration publique des biens, conformément à une disposition de notre Constitution.

Mais lorsqu’on s’entoure de la moindre prudence méthodologique pour  éviter d’être victime de la lettre ou de la grammaire, on s’aperçoit que le verbe avoir se dénonce ici comme un verbe considérablement équivoque, car au lieu de traduire une possession, il exprime plutôt un manque, mieux une crise dans un pays dont les marchés surabondent pourtant de denrées alimentaires. Le fait de comprendre que le verbe avoir peut aussi, comme le verbe être, traduire un état (de pauvreté ou de misère) ou une épreuve (la faim ou la soif) dont on ne peut malheureusement pas avoir la preuve, en se fondant simplement sur les apparences de ceux qui déclarent leur faim à autrui, ne résout pas totalement le problème de sens que pose la proposition : « J’ai faim ». Pourquoi est-ce surtout sur le terrain difficile de l’épreuve que le verbe censé exprimer la possession vient mettre un verbe d’état, notamment le verbe être, dans une situation de promiscuité à la fois grammaticale et logique ? Comment expliquer que des gens aient faim dans un pays qui regorge de tant de denrées alimentaires et où se rencontrent facilement des fonctionnaires milliardaires ? Où en est-on avec le programme de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ?

En attendant que le bilan de ce programme soit fait, on est convaincu qu’un pays qui produit des indigents à la pelle creuse politiquement sa tombe avec la même pelle. En revenant sur la polysémie du verbe avoir, on peut enfin dire que le fait que des gens aient de plus en plus faim dans un pays naturellement aussi riche que le Cameroun, indique, à suffisance, que ce pays souffre d’une sévère crise de justice sociale.

 

Pr Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)

 

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