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10 mai 2014 6 10 /05 /mai /2014 10:17

Comme l’âne de Buridan, l’Ukraine louvoie aujourd’hui entre l’Union européenne et la Russie. Si ce pays se déchire au point de donner la preuve qu’il s’agit d’une nation effectivement en demande de construction, c’est d’abord parce qu’il y sévit une importante crise à la correction de laquelle les Ukrainiens, ou du moins ce qui en reste, croient pouvoir efficacement procéder par le fétichisme de l’Europe ou de la Russie. Dans l’espoir que l’Ukraine ne va pas connaître la fin tragique de l’âne de Buridan qui mourut de faim et de soif parce qu’il ne put finalement se résoudre à choisir entre un seau d’eau et une botte de foin, la Guerre froide qui se réchauffe paradoxalement à l’occasion de cette importante crise nous amène à nous demander s’il faut encore lire La fin de l’histoire de Francis Fukuyama.

Pr. Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)

Le Professeur Lucien AYISSI recevant le Grand prix littéraire ANELCAM 2012

Le Professeur Lucien AYISSI recevant le Grand prix littéraire ANELCAM 2012

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6 mars 2014 4 06 /03 /mars /2014 08:17

Communication faite mercredi, le 05 mars 2014 à la salle Garoua de l'hôtel Djeuga Palace à Yaoundé, dans le cadre des manifestations liées à la Journée internationale de la femme.

professeur_ayissi.jpg

La formulation de ce thème semble refléter la qualité éthique d’un état des lieux, à savoir l’administration de la Direction générale des impôts. Elle apparaît même comme la dénonciation sournoise d’un déficit d’égalité des sexes qui déteindrait sur la responsabilisation des femmes au sein de la Direction générale des impôts. Dans tous les cas, l’approche formulaire adoptée dans l’élaboration de ce thème semble non seulement s’accompagner d’une demande, mais aussi de la volonté d’inscrire la question du genre dans un programme dont la nouveauté consisterait dans la mise en perspective de l’éthique de l’égalité et de la parité dans l’administration de la Direction générale des impôts. Il s’agit, plus précisément, d’ouvrir dans cette administration une nouvelle ère éthique devant désormais être sous-tendue par l’égalité et la parité.

Devoir proposer une réponse à la question relative à la promotion de l’égalité des sexes et à la responsabilisation des femmes au sein de la Direction générale des impôts revient à contribuer, tout au moins théoriquement, à la recherche des solutions adaptées au problème de la pleine expression sociopolitique de l’humanité et de la citoyenneté des femmes dans un contexte qui peine à se délester des pesanteurs d’une culture dont les références masculinistes font inéluctablement le lit d’une phallocratie discriminatoire ou marginalisante.

La modeste réflexion à laquelle je vais aimablement vous inviter à prendre part comporte trois articulations : si la première consiste dans la mise en procès du patriarcalisme et la critique du féminisme instrumental qui peuvent, entre autres raisons, rendre compte du déficit d’égalité et de parité qu’on peut observer entre l’homme et la femme, la deuxième articulation porte sur les conditions de possibilité de l’égalité des sexes et de la responsabilisation des femmes au sein d’une administration métaphorique comme celle de la Direction générale des impôts. Dans la troisième et dernière articulation, nous vous proposons une éthique du vivre-ensemble dans laquelle l’approche genre articule l’égalité, la parité, voire la gémellité, afin que chaque personne puisse, en République, traduire au mieux son humanité et sa citoyenneté, sans craindre que l’expression différentielle de son être soit pour autrui une raison suffisante de la marginaliser ou de l’ostraciser.

 I-Du procès du patriarcalisme à la critique du féminisme instrumental

 Avant de passer à la question de l’étiologie, donc des causes de la crise ou du déficit possible ou réel d’égalité des sexes et des problèmes liés à la responsabilisation des femmes dans une administration métaphorique comme celle de la Direction générale des impôts, il importe de réinvestir sémantiquement la formulation du thème de cette communication : il n’y est pas question de la responsabilisation de la femme entendue comme un être sans détermination particulière. Voulant certainement éviter un nominalisme professionnellement et politiquement inutile, les auteurs de la formulation thématique de cette communication ont préféré qu’on parle de la responsabilisation des femmes plutôt que de celle de la femme in abstracto. Il s’agit bien des femmes déterminables et probablement déterminées, celles dont l’expertise ou la compétence n’est pas souvent pas prise en compte dans l’administration de la Direction générale des impôts, du simple fait qu’elle est celle des femmes.

Les causes pouvant expliquer les difficultés liées à la  promotion de l’égalité des sexes dans telle ou telle administration camerounaise, et notamment dans celle de la Direction générale des impôts, sont diverses. Parmi elles, nous préférons surtout nous référer au patriarcalisme qui en est la cause fondamentale ou structurelle. La société camerounaise, comme bien d’autres sociétés dans le temps et dans l’espace, est, dans son ensemble, un ordre masculin ou patriarcal. En effet, l’ordre patriarcal est structuré dans le sens de la préservation des privilèges des hommes. Le rapport homme-femme y apparaît nécessairement comme clivé, fracturé ou dualisé. Le clivage qu’on y observe s’accompagne d’un mode de structuration sociale hiérarchique. Pour l’essentiel, cet ordre vertical ou hiérarchique est celui qui est voulu et entretenu par les hommes, dans la mesure où il est conforme à leurs appétits de domination et d’appropriation des avantages sociopolitiques. Ce patriarcalisme qui est lui-même la version idéologique la plus évidente de l’andocentrisme[1]  s’accompagne nécessairement de sexisme, cette construction genrée de la société qui est assortie de la planification sexuelle des tâches.

Si, comme le démontre Nkolo Foé[2], l’État est de sexe masculin, compte tenu du fait qu’il s’agit d’un ordre politique patriarcal institué en vue de la protection des intérêts des hommes dans le temps, il est, dans une telle institution, fort difficile que la question de l’égalité des sexes et de la responsabilisation des femmes se formule de manière favorable à la production des réponses appropriées.

Souvent, lorsque les femmes s’investissent dans la réactualisation de cette question, de manière à la poser à nouveaux frais, celle-ci s’enferme dans le ghetto idéologique d’un féminisme bavard, revanchard et même tapageur sur des questions qui sont certainement dignes d’intérêt, mais inessentielles par rapport à la question qui mérite vraiment d’être posée relativement à la conception, à l’élaboration des stratégies d’émancipation de la femme et à la définition des modalités de sa participation à la construction d’un vivre-ensemble fondé sur l’égalité et la parité.

Il ne s’agit donc pas, comme on pourrait le penser, de tirer prétexte de la Journée internationale de la femme pour substituer le gynocentrisme à l’andocentrisme dont procèdent le patriarcalisme et le sexisme, mais de saisir cette occasion pour reformuler le problème encore irrésolu de la mise en couple du genre, à partir d’une politique fondée sur l’égalité des sexes, dans le sens de la réalisation d’une véritable relation de parité et même de gémellité entre l’homme et la femme aussi bien au sein de la Direction générale des impôts que dans toutes les autres administrations camerounaises.

L’instrumentalisation idéologique et politique du féminisme à des fins d’occupation quantitative des postes de responsabilité a certes permis, dans le temps, de modifier la représentation sociale du genre et de sensibiliser les pouvoirs publics sur la nécessité de soumettre le problème de l’égalité homme-femme à la sanction d’une double correction éthique et politique. Mais, le fait pour le féminisme instrumental de se subordonner plutôt à l’aspiration de quelques femmes à l’ascension sociale qu’à la résolution globale des problèmes des femmes, l’a discrédité en même temps qu’il l’a frappé du sceau de l’inefficacité. Pour avoir soumis la question du genre à la sanction des calculs politiques particuliers, le féminisme instrumental l’a considérablement appauvrie. En la destinant à la résolution des problèmes de commensalité politique entre les sexes, ceux notamment liés à la prise de part des femmes dans la gestion gastronomique du pouvoir politique, il l’a inconsidérément détournée de sa finalité.

         Si la cause du déficit d’égalité et de la crise de la parité au sein de l’administration camerounaise en général et de la Direction générale des impôts en particulier relève, comme nous l’avons déjà dit, d’une causalité structurelle, quelle « politique des sexes »[3] doit-on, dans ce cas, élaborer et mettre en œuvre au Cameroun pour promouvoir l’égalité des sexes et la responsabilisation des femmes dans toute l’administration camerounaise ?

 II-Les conditions de possibilité de la promotion de l’égalité des sexes et de la responsabilisation des femmes dans l’administration camerounaise

Posée en termes de conditions de possibilité, la question de l’égalité des sexes et de la responsabilisation des femmes dans l’administration camerounaise se formule donc dans l’ordre des modalités. Pour rendre possibles l’égalité des sexes et la responsabilisation des femmes dans le vaste réseau administratif camerounais, il importe de mettre en place une « politique des sexes » destinée à dissiper les préjugés théologico-métaphysiques selon lesquels la femme est un être constitutionnellement inférieur à l’homme. C’est cette « politique des sexes » qui pourra développer, aux plans administratif et social, la culture de la différence dont l’objectivité ne doit pas servir de prétexte au sexisme qui est, à proprement parler, une sorte de ségrégation professionnelle sexuellement déterminée. Il va des soi que l’élaboration et la mise en œuvre d’une telle « politique des sexes » est, vue son ampleur, du ressort des pouvoirs publics.

Il est, dans ce cas, tentant de proposer, dans l’ordre des modalités, la pratique de ce qu’il serait convenable d’appeler la discrimination sexuelle positive. Mais, étant donné que cette incitation politique risque de consacrer la thèse de l’existence d’une inégalité constitutionnelle entre l’homme et la femme, il est plutôt préférable que la promotion de l’égalité et de la responsabilisation des femmes résulte de la réelle domination théorique et pratique par celles-ci de la rationalité qui régit l’administration camerounaise. C’est par la compétence et le sens des responsabilités que les femmes peuvent forcer le respect et finir par s’imposer inévitablement là où elles ne devraient jamais être imposées du simple fait de leur différence objective.

Lorsqu’on ne la réduit pas à la nomination, la promotion renvoie aussi au développement d’une valeur ou à la dynamique idéologique et sociopolitique construite et entretenue pour la consacrer, compte tenu de sa dimension cardinale. Développer l’égalité des sexes dans nos administrations dans le sens de la responsabilisation des femmes exige aussi que celles-ci exhibent constamment leur offre de compétence et de sérieux dans une administration camerounaise qui en a considérablement besoin. Étant donné qu’une telle offre est de plus en plus avérée parce que la femme camerounaise est de moins en moins enfermée dans une « clôture ménagère »[4], la question de l’égalité et de la responsabilisation des femmes devrait donc davantage se poser en termes de parité et/ou de gémellité. Comment pouvoir, dans l’administration camerounaise, fonder sur la parité et même la gémellité l’offre professionnelle des hommes et des femmes par-delà la différence de leur genre d’appartenance ? telle doit être, à mon avis, la nouvelle perspective éthique et politique à donner à la question du genre.

III-De l’égalité des sexes à la parité et même à la gémellité homme-femme : le nouveau vecteur éthique et politique de la question du genre

 

         Si, dans nos diverses administrations, l’inégalité des sexes survit encore aux diverses politiques publiques pourtant favorables à l’égalité homme-femme au travail, au Cameroun, tout au moins dans les milieux professionnels, le déficit d’égalité entre l’homme et la femme se corrige progressivement. Bien que ce déficit soit déjà, dans certains cas, considérablement minimisé, l’intérêt actuel de la question posée est surtout à rechercher dans l’éthique de l’altérité à promouvoir en milieu professionnel camerounais. Dans cette éthique de l’altérité à promouvoir, l’homme et la femme sont – en vertu de l’égalité ontologique sur le mode de laquelle ils se rapportent nécessairement, et que les diverses idéologies de légitimation de la thèse de l’infériorité métaphysique ou théologique de la femme ne parviennent pas à remettre efficacement en cause – appelés à se mettre en couple pour faire prospérer, dans le sens du développement de notre pays, la dynamique de l’administration camerounaise. C’est parce que l’altérité n’est pas l’ailleurs de soi, mais un autre soi-même avec lequel doit se construire une fructueuse collaboration qu’il importe de penser son rapport à lui sous l’angle de la mixité. Comme le dit Sylviane Agacinski, « penser la mixité, c’est considérer qu’il y a deux versions de l’homme, et en se représenter l’humanité comme un couple. »[5]

Si la parité et/ou la gémellité se présentent comme la perspective éthique et politique vers laquelle doit plutôt s’orienter la question de l’égalité et de la responsabilisation des femmes, c’est parce qu’au Cameroun comme partout ailleurs, ni l’homme ni la femme ne résument exclusivement l’humanité et la citoyenneté. C’est pour cette raison que leurs diverses contributions sont nécessairement attendues dans le procès de construction d’un vivre-ensemble pacifique et véritablement humain.  

Élaborer, au Cameroun, une « politique des sexes » revient moins à féminiser la société[6], comme le recommande Roger Garaudy[7], qu’à promouvoir le sens de la parité à travers la mise en couple de l’homme et de la femme au travail, compte tenu du fait que l’humanité est ce que l’homme et la femme ont tout à fait en partage.

         C’est donc dans une gouvernance paritaire ou gémellaire, c’est-à-dire celle qui n’est ni androcentrée ni gynocentrée, parce que fondée sur la cogestion du Cameroun par les hommes et les femmes qui en constituent le fonds démographique, que peut se résoudre, de façon plus pertinente, le problème de l’égalité des sexes et de la responsabilisation des femmes dans les administrations camerounaises, y compris celle de la Direction générale des impôts.

 Conclusion

Collaborer à la résolution des problèmes liés à l’égalité et à la responsabilisation des femmes dans telle ou telle administration, c’est inscrire en lettres d’or la question de la parité ou de la gémellité dans le répertoire des questions relevant de l’éthique du vivre-ensemble et même de la gouvernance. Pour cela, il revient d’abord aux pouvoirs publics d’élaborer une « politique des sexes » fondée sur la volonté de dissiper, de façon décisive et définitive, les idéologies théologico-métaphysiques de légitimation de la thèse de l’infériorité constitutionnelle de la femme par rapport à l’homme. Ils doivent aussi promouvoir socialement et politiquement la culture de la parité, c’est-à-dire de l’égalité parfaite entre l’homme et la femme appelés qu’ils sont, à l’instar des jumeaux, à se partager à la fois le pathos dont l’existence est toujours chargée pendant les temps d’adversité aussi bien que les avantages d’un Cameroun et d’un monde au développement et à l’humanisation desquels ils doivent toujours œuvrer en couple. Ce n’est qu’en référence au paradigme de la parité que l’homme et la femme peuvent, ensemble, donner un meilleur sens tant à l’administration de la Direction générale des impôts qu’à la gouvernance camerounaise et mondiale.

 Pr. Lucien AYISSI

Université Yaoundé I (Cameroun)

 



[1]- L’andocentrisme se définit, par opposition au gynocentrisme, comme un mode de pensée qui consiste à se représenter le monde du point de vue des êtres masculins.

[2]- Nkolo Foé, Le sexe de l’État, Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 2002.

[3]- Cette expression est de Sylviane Agacinski. Cf. le titre de son ouvrage : Politique des sexes, Paris, Seuil, 1998.

[4]- Nous empruntons cette expression à Roger Garaudy. Cf. son ouvrage intitulé : Pour l’avènement de la femme, Paris, Albin Michel, 1981.

[5]- Sylviane Agacinski, op. cit., p. 101.

[6] Pour Roger Garaudy, il s’agit en effet de féminiser la société pour que l’humanité tout entière puisse escompter un avenir.

[7]- Roger Garaudy, op. cit., p. 176.

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24 janvier 2014 5 24 /01 /janvier /2014 09:05

professeur_ayissi.jpgEn plus de la même référence pré-onomastique, François, qu’ils ont en partage, François Hollande et le pape François sont également des célibataires : le pape est célibataire par profession, tandis que le président français l’est par conviction. C’est, sans doute, en vertu de ses convictions de libertaire que le président français a, sans vouloir vexer son homonyme, relativement libéralisé le mariage, un thème dont les deux pourront certes débattre, mais sans qualité pour des raisons évidentes. En quelle qualité deux robustes célibataires, fussent-ils respectivement président de la République de France et pape de l’Église catholique romaine, peuvent-ils discuter de ce dont ils sont effectivement ignorants ? est-on en droit de se demander. S’ils ne sont pas qualifiés pour débattre de cette thématique, le président français a beaucoup de péchés à confesser à son homonyme de pape : sa volonté exprimée d’avoir à la fois le profil politique d’un président normal et celui de l’Alexandre des conquêtes amoureuses n’est pas de nature à plaire à son homonyme, très à cheval sur l’éthique dans un monde où la vertu est de plus en plus en haillons, y compris dans le clergé.

Mais, en quoi le fait d’aimer son prochain, et surtout sa prochaine, dût-elle, dans le cas du président français, avoir l’habitude d’exister au pluriel, constitue-t-il en soi un péché à devoir confesser au pape ? En quoi le fait d’avoir l’un des cœurs les plus larges et les plus généreux, affectivement parlant, constitue-t-il une entorse à l’éthique et à la politique d’un président normal ? Du moment où l’amour est préférable à la guerre, on ne voit pas en quoi le fait d’aimer successivement Royal, Hidalgo, Trierweiler, Gayet, etc. peut fâcher l’Éternel, c’est-à-dire le Dieu de l’amour et non de la haine. Dans tous les cas, le pape François va en juger.

Mais, une chose est sûre, si François Hollande ne s’investissait pas souvent dans l’amour de belles Françaises, la Syrie des Assad aurait déjà été rayée de la carte du monde. Il aurait déjà exterminé tous les jihadistes de la partie septentrionale du Mali ; les Séléka et autres anti-Balaka de la Centrafrique ne seraient plus qu’un très mauvais souvenir.

C’est donc en devenant un obstacle à la réalisation de sa politique de normalisation de la gouvernance française et de celle du pré-carré de la France en Afrique que l’amour de François Hollande apparaît comme le péché que ce président devra confesser à son homonyme, le pape François. En attendant que ce dernier nous explique pourquoi il continue de trouver son homonyme de président fréquentable en dépit de son nomadisme affectif, nous souhaitons que les deux François aient des entretiens à la fois cordiaux et francs sur la question des mœurs, de la protection de l’humanité de l’homme dans l’espace et dans le temps, afin que la paix à laquelle tous les hommes aspirent ne soit pas déterminée par les préventions idéologiques d’un François Hollande ou d’un autre maître des cœurs et du monde.

 

Pr. Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)

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23 décembre 2013 1 23 /12 /décembre /2013 00:37
professeur_ayissi.jpgAujourd’hui enfermée dans la nasse d’une contradiction meurtrière qui a dérivé dans une dangereuse bellicité cyclique en dépit de l’intervention militaire française, la République Centrafricaine est un Etat dont l’existence est purement nominale. Le dualisme Bozizé-Djotodia qui s’est mué en une tragique confrontation entre les Séléka et les anti-Balaka, les musulmans et les chrétiens est en voie de cloner politiquement celui sur le mode duquel s’étaient, dans la zone des Grands Lacs, déjà opposés, en termes génocidaires, les Tutsi et les Hutu.
Le fait que les uns et les autres s’accordent à convoquer Polemos (la guerre) dans la résolution de la contradiction tragique à laquelle s’est muée l’opposition entre le Même et l’Autre montre que le feu couvait depuis longtemps sous la cendre politique de la RCA. La volonté d’en découdre que se partagent fort équitablement les diverses factions centrafricaines à l’œuvre dans les multiples massacres qui endeuillent quotidiennement ce pays est la preuve par les faits que la diversité ethnique ou confessionnelle est très mal gérée en RCA. L’incapacité des politiques à fédérer l’hétérogène autour des projets de nature à l’amener à se transmuer en une communauté de desseins et de destins est le propre des politiques aberrantes. De telles politiques prospèrent facilement là où sévit la crise de la justice sociale. Le refus exprimé par le Même de procéder à la jouissance partagée des ressources communes avec l’Autre conduit nécessairement à une situation de dualisation qui prédispose l’Etat à la fragmentation politique. Les problèmes de cohabitation qui en résultent hypothèquent si durablement le vivre-ensemble qu’ils peuvent facilement se renouveler à tout moment.
Comment recomposer politiquement un Etat aussi considérablement décomposé ? telle est la question à laquelle M. Djotodia ne semble pas pouvoir répondre.
 
Pr. Lucien AYISSI
Université de Yaoundé I (Cameroun)
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9 décembre 2013 1 09 /12 /décembre /2013 03:44

professeur_ayissi.jpgNelson Mandela, alias Madiba, est incontestablement l’homme politique le plus respectable de notre temps. S’il avait vécu dans les temps reculés de l’histoire on en aurait fait un dieu ou un messie. Madiba est un très grand motif de fierté pour une Afrique qu’on se représente encore soit comme une jungle infestée de Sida et ponctuée de conflits interethniques, soit comme un simple pâturage économique. En faisant du pardon une catégorie éthico-politique dans un monde gouverné par la haine, l’esprit de vengeance et la violence, Nelson Mandela a montré que la paix que Spinoza appelle, à juste titre, la « concorde des âmes et des cœurs », est une valeur si précieuse qu’elle mérite, pour sa réalisation, qu’on pardonne à autrui les préjudices et dommages politiques qu’il nous a fait subir. L’être-ensemble ne peut humainement prospérer dans la perspective d’un véritable vivre-ensemble qu’à condition que le Multiple œuvre, par le pardon, à la transcendance de son hétérogénéité ethnique, raciale ou idéologique pour s’ouvrir à l’altérité et collaborer avec elle à la construction d’un monde humain. C’est, je crois, la grande leçon de philosophie morale et politique que Mandala a magistralement administrée au monde entier.

 

Pr. Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)

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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 15:01

 

professeur_ayissi.jpgEn temps de crise, on est naturellement enclin à faire de l’altérité une victime émissaire ou expiatoire. Persuadé que c’est d’elle que vient tout le mal dont il souffre, le Même institue un procès en condamnation de l’Autre qu’il croit coupable de parasiter son existence ou de polluer son identité, lorsqu’il n’estime pas qu’il répond, comme l’âne de la fable de Jean de La Fontaine, tout à fait des maux qui l’accablent.

En se représentant l’étranger comme celui qui mérite la mort parce qu’il s’agit de cet être étrange qui répond ou profite de la crise financière dont la Grèce subit les méfaits, Aube dorée qui a ce genre de représentation en partage avec tous les partis d’extrême droite qui prospèrent politiquement aujourd’hui en Europe, oublie qu’elle apporte à la question de la crise financière une réponse aussi impropre que dangereuse.

En diabolisant l’étranger, Aube dorée qui ne mérite vraiment pas son nom, ne fait pas seulement l’impasse sur l’intérêt idéologique de la xénophilie d’un Platon, ce prince de la philosophie qui fait souvent de l’étranger son porte-parole dans certains de ses dialogues ; elle fait aussi et surtout preuve d’une aberration qui est d’autant plus grave qu’elle oublie qu’il y a des Grecs en situation d’étrangers au Cameroun et dans d’autres pays du monde. Cette aberration qui l’a amenée à incendier le bar d’un Camerounais en Grèce, après lui avoir proféré des menaces de mort, a tellement altéré son pouvoir de discernement que ce parti nazi n’a pas imaginé, un seul instant, que la maxime de son agir n’est pas du tout universalisable.

Que deviendrait le vivre-ensemble à l’échelle globale si le nazisme prospérait dans tous les partis politiques du monde ? Que deviendraient les Grecs dont Aube dorée prétend défendre les intérêts par une politique aussi anachronique que stupide si tout le monde diabolisait ceux qui sont au Cameroun et dans d’autres pays de la planète ?

        Pour n’avoir pas pu se poser préalablement des questions de ce genre, parce traumatisée par les difficultés liées à la crise financière qui sévit considérablement en Grèce, Aube dorée est en train de reproduire dangereusement la grave erreur de jugement que commirent les nazis dans l’histoire.

 

 

Pr. Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)

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15 septembre 2013 7 15 /09 /septembre /2013 22:47

 

ayissi2.jpgOn peut, à juste titre, trouver cette question saugrenue, dans la mesure où s’interroger sur la rareté des bonnes manières dans un monde qui assure la prospérité d’une violence à la fois protéiforme et récurrente, revient à formuler une question qui n’a réellement pas lieu d’être.

        De quelles bonnes manières peut-il par exemple s’agir dans un contexte où les hommes ont constamment l’esprit saturé de haine et de malveillance, la bouche encombrée par l’invective, l’insulte et l’injure et où l’amour est si souvent falsifié par l’égoïsme et altéré par la violence qu’il n’arrive plus à fusionner les âmes et les cœurs en marge des logiques instrumentales de type économique et politique ?

        A l’évidence, il sévit dans notre monde une sévère crise des bonnes manières. C’est pourquoi il semble difficile aux uns et aux autres de se rapporter sur le mode de la courtoisie, de la gentillesse et de la convivialité, tant la raison qui nous constitue tous, ontologiquement parlant, donne de moins en moins à ses catégories éthiques suffisamment de chance de faire prospérer historiquement ces valeurs, compte tenu du fait qu’elles sont dépourvues de tout intérêt économique et politique.

Dans l’actuel procès d’exacerbation de l’égoïsme, de marchandisation globale et de démultiplication de la violence, la crise des bonnes manières est telle qu’il n’est pas inutile de formuler ou de reformuler ce genre de questions, quelque saugrenues qu’elles puissent paraître.

 

Pr. Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)

 

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12 septembre 2013 4 12 /09 /septembre /2013 22:18

professeur_ayissi.jpgÉlire est un acte qui peut prêter à équivoque, quand on sait qu’étymologiquement, cet acte renvoie à celui de nommer dont l’ambiguïté est avérée, dans la mesure où nommer veut à la fois dire donner un nom, appeler, instituer en qualité (d’héritier, d’administrateur des biens, etc.), choisir quelqu’un pour qu’il remplisse certaines fonctions sociales, administratives ou politiques.

 

 

 

Comment pouvoir désambiguïser un terme dont la signification a un spectre logique si vaste que la détermination de sa référence est trop aporétique pour que sa scrutabilité soit garantie ?

C’est par une approche logique tout à fait optionnelle qu’on peut éviter d’être pris dans la nasse des difficultés liées à l’ambiguïté caractéristique du terme élection. En retenant que l’élection est l’expression de la liberté qu’on manifeste soit en nommant quelqu’un parmi tant d’autres, soit en l’instituant en qualité de, soit en l’appelant pour telle ou telle raison, on s’aperçoit que l’élection a pour référence le choix. Choisir, c’est marquer librement sa préférence pour ceci ou pour cela, pour tel ou pour tel. La liberté apparaît donc comme le marqueur éthique et politique de l’élection. Ainsi, par l’acte d’élire, l’électeur donne à son humanité et à sa citoyenneté l’occasion de se dramatiser publiquement, notamment par rapport aux affaires de la cité ou relativement à la qualité des figures aspirant à les gérer. Cet acte revêt donc, à travers son caractère symbolique, un important intérêt éthique et politique : c’est par lui que l’individu donne la preuve non seulement de sa liberté et de sa dignité d’être humain, mais aussi et surtout celle de sa citoyenneté, appelé qu’il est à participer à la définition du sens à donner à sa polis. En plus d’être un indice de perception de la liberté et de la dignité de tel ou tel membre de la polis, l’élection est un acte politique fort pourvu de sens, car le possessif « sa » montre bien que la polis à l’orientation de laquelle il participe à travers le choix de ses dirigeants ou de ses représentants, n’est pas la propriété de ceux qu’il va élire ou qu’il aura élus. C’est lui qui en est comme le maître et le possesseur, bien que les contraintes de la gouvernance contemporaine l’amènent à devoir déléguer sa volonté au profit politique de celui ou de ceux à qui il aura librement marqué sa préférence.

Au-delà donc de l’aspect symbolique qui consiste en gestes dont la récurrence semble assimiler l'élection à un banal rituel politique auquel autrui peut facilement sacrifier en lieu et place de telle ou telle personne dans un contexte défini par la crise de libertés, il s'agit, à proprement parler, d'un acte dont la signification éthique et politique est établie.

Mais comment préserver la double signification de cet acte lorsque la politique s’inscrit dans le répertoire des modes d’une chrématistique à la critique de laquelle procédait déjà Aristote dans son célèbre ouvrage intitulée : La politique ? Transmuée en business dont la rationalité est effectivement définie par la rentabilité, la politique donne-t-elle encore suffisamment de chances au pouvoir d’élire des citoyens de traduire leur humanité, leur dignité et leur citoyenneté en acte ?

Il y a lieu d’en douter, surtout dans un monde où la démocratie rime très souvent avec la démagogie des bonimenteurs et des manipulateurs de tout poil qui, pendant la période de consultations populaires, s’activent à garnir les représentations des citoyens avec ces illusions fort séduisantes qui font place nette aux désillusions en périodes postélectorales.

Comment les citoyens peuvent-ils d’ailleurs protéger leur pouvoir d’élire contre les risques de corruption éthique et politique, si leur humanité et leur citoyenneté ne sont pas déjà sécurisées contre la pression délétère des impératifs historiques et le risque de conditionnement idéologique de leur conscience par les puissance d’argent et les gestionnaires des techniques de communication de masse ?

 

Pr. Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)

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6 septembre 2013 5 06 /09 /septembre /2013 20:47

 

professeur_ayissi.jpgBien qu’il semble l’oublier, M. Barack Obama est un prix Nobel de la paix. M. Bush n’en est pas un. Du moins pour le moment. Cela n’empêche pas que les deux aient le même profil politique, puisqu’ils aiment à s’investir dans la réalisation des projets de guerre perpétuelle. Ils ont aussi la même passion pour la logique, dans la mesure où ils affectionnent l’argument de la preuve pour justifier même l’injustifiable. Bush avait donné au monde entier « la preuve » que l’Irak de M. Saddam Hussein détenait les armes de destruction massive. Il n’en était pourtant rien. Cela ne l’avait pas empêché de détruire l’Irak et de faire massacrer de milliers d'Irakiens. Aujourd’hui, M. Obama lui emboîte « logiquement » le pas en prétendant détenir « la preuve » que M. Bachar Al Assad s’est tout récemment servi du gaz sarin, une arme destruction massive, contre le peuple syrien. De quelle pertinence logique peut être « la preuve » de M. Obama, étant donné qu’il a le même profil politique que M. Bush ?

Comment le monde peut-il donc être sûr lorsque l’argument de la preuve est constamment prostitué par ceux qui devraient plutôt mériter le prix Nobel de la guerre ? En recourant à leur « logique » dans l’espoir de donner à leur bellicisme un vernis d’humanisme, MM. Bush et Obama n’ont pas seulement tort de croire que l’argument du plus fort est logiquement pertinent ; ils ont surtout tort de prendre les autres citoyens du monde pour des demeurés.

Pr. Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)

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28 juillet 2013 7 28 /07 /juillet /2013 23:25

professeur_ayissi.jpgL’ouvrage à la dédicace duquel nous avons l’honneur scientifique de participer ici et maintenant à travers cette note de lecture est un essai qui s’intitule : Comprendre le phénomène de l’émergence. Préfacé par le Professeur Jacques Philippe Tsala Tsala, chef du Département de psychologie de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Yaoundé I, il a été publié à Paris aux Éditions Publibook en 2012.

 

 

         Comprendre le phénomène de l’émergence ne consiste pas, pour le professeur Robert Evola, à sacrifier à un effet de mode discursif, celui qui consiste en une futurologie aux accents politiques fort messianiques, et d’après laquelle le Cameroun sera un pays émergent à l’horizon 2035. Il ne s’agit donc pas pour lui de se rendre agréable au politique en instrumentalisant son prestigieux statut de professeur d’université pour réinvestir, à son profit personnel, un champ discursif caractérisé par l’inflation d’une référence sémantique, à savoir l’émergence. Il s’agit plutôt, pout l’auteur de cet essai, d’inscrire, dans l’ordre de la compréhension, un phénomène dont la lecture n’est pas évidente, compte tenu de sa non-prédictibilité, eu égard au fait que la causalité mécanique ne peut pas figurer parmi ses conditions de possibilité, puisqu’il n’est pas régi par les lois du déterminisme classique, défini par la causalité théologico-mécanique.

Le dessein du professeur Evola s’inscrit plutôt dans un procès discursif dont la dimension épistémologique et téléologique mérite d’être soulignée, dans la mesure où il s’agit d’abord pour lui de comprendre et surtout de faire comprendre le phénomène de l’émergence et de promouvoir un nouveau paradigme épistémologique qu’il appelle, à juste titre, l’émergentisme.

Mais, comment pouvoir comprendre ce dont la  prévisibilité et la prédictibilité semblent n’être pas possibles, eu égard au fait que cela échappe aux lois du déterminisme classique ? Comment accéder aux archives ontologiques de ce qui est difficile à conceptualiser, compte tenu du fait qu’il est régi par le principe de survenance ? Comment persuader ceux à qui Evola veut, dans une généreuse intention pédagogique et didactique, faire comprendre le phénomène de l’émergence, qu’il ne tente pas vainement de discourir sur ce dont l’indétermination essentielle en fait quelque chose d’incompréhensible ou d’inintelligible en soi ?

Ces questions sont autant de défis épistémologiques, pédagogiques et didactiques qu’Evola entreprend de relever dans un essai qui brille par le fait que le concept qu’il y développe est logiquement pertinent, dense et consistant, tant il est très savamment construit à partir des connaissances de la psychologie, de la philosophie, de la physique, de la chimie, de la biologie, de l’économie, de la théorie des organisations, de la science politique, de l’informatique, etc. C’est suivant une approche historique, définitionnelle, typologique, ontologique et téléologique que l’auteur de cet essai entreprend de nous faire comprendre le phénomène de l’émergence.

 

I-Approche historique

 

Si l’émergentisme est un nouveau paradigme à la promotion épistémologique duquel œuvre Robert Evola, on peut en trouver les prérequis théoriques chez certains philosophes (pp. 21-22) comme Héraclite d’Éphèse, avec son panmobilisme, John Stuart Mill, Samuel Alexander, etc.), et chez des scientifiques comme les mathématiciens Andreï Kolmogorov et René Thom (avec sa théorie des catastrophes) ou dans la paléoanthropologie (Ian Tattersall (p. 29), etc.).

Historiquement, l’émergentisme est la forme épistémologique subvertie du déterminisme et, par conséquent, du behaviorisme. Cette subversion théorique dont l’émergentisme est chargé s’accompagne de la critique de la prédictibilité. Dans ses premières formulations épistémologiques, l’émergentisme apparaît évidemment comme la doctrine qui critique le déterminisme et soutient plutôt la thèse de la non-détermination et de la non-prédictibilité des phénomènes émergents.

À la suite des penseurs précités qui ont historiquement balisé le terrain conceptuel dans lequel s’est épistémologiquement construit l’émergentisme, Robert Evola invite son lecteur à se libérer du carcan idéologique du déterminisme classique fondé sur la thèse de la causalité mécanique et/ou théologico-métaphysique, au profit de l’émergentisme, qui se soustrait à la logique du calcul et à la prévision positiviste, parce qu’ils ne suffisent pas à rendre pertinemment compte des phénomènes émergents dont la complexité est désormais avérée.

 

II-Approche définitionnelle

 

D’après Evola, l’émergence est un phénomène intelligible ou compréhensible. L’accès à son intelligibilité est possible dans une combinatoire logique où s’articulent (p. 14) les concepts d’émergence, d’émergenèse (processus d’émergence caractérisé par la douleur ou la souffrance comme condition de possibilité de l’émergence) et d’émergentisme (épistémologie prospective).

D’après Evola, « on appelle ‘‘émergence’’ une combinaison préexistante d’éléments produisant quelque chose de totalement inattendu » (p. 28). « L’émergence suppose, précise-t-il, un comportement global qui n’était pas inclus dans les propriétés de chacune des parties et un comportement survenant brutalement de façon discontinue » (p. 29). C’est le cas de la vie qui a émergé de l’inerte, de la matière qui a émergé du néant ou du temps et de l’espace qui ont émergé de la matière. D’après Evola, « Si nous regardons un organisme vivant, celui-ci est plus que la somme de ses organes » p. 30), car avec l’émergence l’addition de plusieurs éléments n’est pas toujours égale à leur somme ; 1+1 ne font pas toujours deux comme la combinaison d’un ovule et d’un spermatozoïde ne font pas forcément deux entités différentes, mais plutôt la constitution d’un embryon où n’apparaissent plus ni l’ovule ni le spermatozoïde (pp. 72 et 155). Le phénomène émergent ne résulte donc pas de l’addition des éléments le constituant. Il s’affirme plutôt par sa nouveauté et son indépendance par rapport à ses constituants (p. 76).

Toutefois, précise Evola, si l’émergentisme prend le contre-pied du causalisme, du déterminisme et du behaviorisme, il ne s’inscrit pas dans le providentialisme, car « l’émergence n’est pas un don du ciel qui serait bénéfique par principe, main invisible d’une providence divine, expression d’un ordre naturel sacré » (p. 26). Elle ne doit pas non plus être « mise sur le compte d’une mystérieuse auto-organisation mais bien de l’existence concrète de totalités actives et systèmes organisés » (p. 27). Étant donné que l’émergence obéit au principe de survenance (p. 41), elle se définit comme quelque chose d’inexplicable lorsqu’on recourt au paradigme du déterminisme classique, puisqu’on ne peut en donner ni la preuve a priori ni la preuve a posteriori (p. 40). Pour comprendre le phénomène de l’émergence, il faut plutôt prendre en compte l’importance du microscopique dans la survenance du macroscopique. C’est ce qui fait dire à Evola que « Toute explication d’un phénomène émergent renvoie enfin au principe d’ « individualisme méthodologique » qui affirme encore que l’on peut rendre compte d’un phénomène supérieur donné par les seules caractéristiques du niveau inférieur » (p. 42) ; « De petites agitations désordonnées, des discontinuités à petite échelle, habituellement insensibles, agissant brutalement de façon plus coordonnée à grande échelle, provoquent une discontinuité de grande ampleur. La cohérence de la lutte des classes, c’est la révolution. Des millions de révoltes individuelles ne s’additionnent pas ; elles peuvent rétroagir de manière exponentielle et produire quelque chose de neuf, une potentialité nouvelle pour la société » (p. 169). Ainsi, « l’émergence d’une société ne peut être possible qu’à partir de l’émergence des individus qui la composent. Aussi n’est-il pas possible de parler de l’émergence d’un pays sans avoir obtenu l’émergence de ses ensembles géographiques ou de ses populations, ou encore sans avoir obtenu l’émergence de nouveaux comportements de développement chez les populations qui le constituent » (pp. 43-44).

 

III-Approche typologique

 

De la page 46 à la page 49 de son essai, Evola distingue principalement quatre types d’émergence, à savoir :

-         l’émergence unilatérale qui suppose que le niveau microscopique engendre à lui seul les phénomènes macroscopiques ;

-         l’émergence bilatérale qui naît d’une boucle entre les niveaux microscopique et macroscopique ;

-         l’émergence synchronique qui se produit lorsque les influences ascendante et descendante entre niveaux s’exercent simultanément. L’émergence synchronique suppose que les niveaux microscopique et macroscopique sont simultanément présents ;

-         l’émergence diachronique qui allie une influence ascendante à court terme et descendante à long terme. Elle montre comment le niveau macroscopique est progressivement issu du substrat microscopique.

Cette typologie générale varie lorsqu’il s’agit, par exemple, des systèmes sociaux. Par rapport à ces derniers, Evola distingue (p. 47) :

-         l’émergence spontanée qui est à l’œuvre lorsque les agents sont inconscients des phénomènes qu’ils contribuent à forger ; l’émergence spontanée suppose que les acteurs microscopiques interagissent de façon purement causale (p. 49) ;

-         l’émergence réflexive qui postule la prise en compte par les agents des phénomènes qu’ils créent ; elle suppose que les entités microscopiques prennent conscience de certains aspects du phénomène émergent (Ibid.).

Quelle que soit la typologie, les phénomènes émergents dont l’apparition de la vie, l’irruption de la pensée et celle des institutions sont les manifestations les plus illustratives (p. 47), sont des « phénomènes macroscopiques imprévisibles voire inexpliqués, qui prennent la forme de régularités statistiques, de structures relationnelles ou même d’entités originales » (cf. Bernard Walliser cité en p. 46). Pour leur compréhension, on doit tenir compte de leurs facteurs généraux (pp. 57-58) (ceux qui, comme l’espace et le temps, la force et l’énergie, la matière et la structure, interviennent à tous les niveaux d’organisation) ou spécifiques (ceux qui sont propres à chaque niveau d’organisation).

 

IV-L’approche ontologique

 

Si les phénomènes émergents relèvent des types déterminés, on peut en faire l’ontologie ; il est possible de discourir sur leur être. Les approches définitionnelle et typologique résument d’ailleurs l’ontologie qu’Evola en fait de la page 59 à la page 79. D’après lui, les phénomènes émergents sont précisément ceux dont l’être a pour caractéristiques ontologiques la spontanéité, la nouveauté, l’indépendance par rapport à son cadre matriciel, la temporalité, la survenance, donc l’imprédictibilité due au changement qui est inscrit dans les choses et qui « peut à tout moment être actualisé » ou « mis en œuvre » (pp. 150). Si l’imprédictibilité est ontologiquement constitutive des phénomènes émergents, c’est, d’après Evola, parce que ces derniers ont une dynamique intrinsèque constamment nourrie par des contradictions à la faveur desquelles apparaissent des changements ou émergent des structures nouvelles.

L’ontologie des phénomènes émergents permet à Evola d’établir qu’en dépit de son imprévisibilité et de son imprédictibilité, l’émergence renvoie à un ordre spécifique, celui qui se construit en rupture avec l’ordre initial dont il s’origine (p. 155). 

Au plan épistémologique, Evola soutient qu’il existe une relation d’homologie entre l’émergentisme, l’évolutionnisme (p. 95) et la physique quantique (p. 97).

 

V-L’approche téléologique

 

Si la volonté exprimée par Evola est de proposer un nouveau paradigme épistémologique, celui qu’il pense être suffisamment pertinent dans la lecture d’un réel dont la complexité est de plus en plus établie (p. 237), cet objectif épistémologique qui se situe en droite ligne de la systémiologie (c’est-à-dire la science qui étudie les systèmes dans leurs comportements, leurs interrelations et leur évolution p. 114) dont il est également l’expert, est, dans le cadre de cet essai, assorti de préoccupations d’ordre pédagogique et didactique.

Le but de comprendre et de faire comprendre le phénomène de l’émergence à travers l’émergentisme s’accompagne de l’intention de nous exorciser de la peur de la contradiction et du changement. Ces derniers sont garants d’une dynamique sans laquelle l’émergence n’est pas possible. Étant donné qu’elle résulte d’une dynamique à laquelle collaborent, par leur interaction, les entités microscopiques qui constituent un système ou une organisation, « l’émergence d’une société, d’une communauté, dépend alors plus de cette réaction collective que des simples slogans propagandistes » (p. 27). Seuls les systèmes ouverts[1] sont propices à l’émergence.

De ce nouveau paradigme épistémologique, la leçon à tirer, nous dit Evola, est celle de l’apprentissage et de l’acquisition des schèmes opératoires du changement pouvant permettre au système de s’adapter aux mutations les plus pénibles. Ce sont ces schèmes qui sont capables de nous protéger des aléas susceptibles de nous plonger dans un chaos destructeur (p. 237). À cette leçon, on peut ajouter l’éthique prudentielle par laquelle Evola conclut son essai : « Alors une très grande prudence s’impose quand on annonce une émergence quelle qu’elle soit, à une époque ou à un lieu déterminé. Ce qui importe c’est de créer les conditions d’émergence » (p. 240).

Cette réflexion menée à grand renfort d’érudition mérite d’être lue. Sa lecture pourra apporter à tous et à chacun des réponses appropriées aux questions relatives à l’émergence individuelle et collective qui se posent à nous dans un monde de plus en plus chargé d’adversité et dont la maîtrise de la dynamique est de plus en plus difficile. Cette lecture sera aussi l’occasion d’échanger avec l’auteur par exemple sur la raison d’être de la géométrie variable de la grammaire typographique du terme émergentisme (qu’il écrit tantôt avec « e » majuscule, tantôt avec « e » minuscule), sur la place de l’acteur historique dans le procès d’une émergence qui peut avoir lieu sans sa participation et sur le pourquoi de la définition des conditions de possibilité de l’émergence, alors qu’Evola établit que les phénomènes ont, en vertu de leur dynamique endogène, le pouvoir d’émerger malgré les variables historiques. Autrement dit, s’il existe des facteurs de l’émergence (p. 77), dans quelle mesure l’émergentisme dont Evola fait la promotion épistémologique se démarque-t-il vraiment du déterminisme classique ?

Des interrogations comme celles-là, et bien d’autres, sont, en réalité, des incitations à la lecture de cet essai dont l’intérêt et l’actualité ne sont plus à démontrer au moment où beaucoup de pays africains placent leur politique sous le signe de l’émergence.

 

Pr Lucien AYISSI

Université de Yaoundé I (Cameroun)



[1]- Selon Evola, un système est ouvert, « s’il est constitué de nombreux composants polymorphes en interrelation, s’il est nécessairement en relation d’échange avec son environnement et si ses composants se détruisent et se régénèrent par le fait de son fonctionnement, altérant continûment leurs fonctionnalité » (p. 127). Il est fermé lorsque son architecture est globalement si stable qu’il devient réfractaire au changement.

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