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11 juin 2010 5 11 /06 /juin /2010 09:41

 

 

 

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Comme un serpent qui s’aperçoit que c’est la queue qu’il est en train de se mordre qui contient le venin qu’il administre mortellement aux autres êtres, l’ultralibéralisme se met en procès en accusant Jérôme Kerviel d’avoir instrumentalisé, à son détriment, la logique financière qui le sous-tend pourtant. Si l’issue du procès de Kerviel est presque prévisible, à en juger par le poids de l’imputation d’illégalité qu’on fait peser sur lui, la dénonciation par la Société Générale des spéculations financières de ce trader à travers la vieille logique du bouc émissaire échoue dans l’opinion parce qu’elle rend plutôt sympathique l’un de ses instruments qui apparaît aujourd’hui, non plus avec les traits d’un spéculateur téméraire, mais plutôt comme un malheureux jeune homme que le grand capital veut injustement écraser.

Accuser Jérôme Kerviel d’avoir mis en danger les finances d’autrui en recourant à la logique spéculative grâce à laquelle les établissements financiers s’enrichissent considérablement, revient à accuser un adepte d’avoir pris des risques en faisant du zèle dans la défense des intérêts de sa propre religion. La Société Générale aurait-elle vraiment craché sur les dividendes financières issues des spéculations hardies de ce trader si cette prise de risques avait finalement bien fonctionné ?

En plus de nous rappeler que le risque zéro n’existe pas, le procès de Jérôme Kerviel nous enseigne qu’en dénonçant les dérives de la logique financière qui le sous-tend, l’ultralibéralisme se met effectivement en accusation.

 

Pr Lucien AYISSI

Université de Yaoundé 1 (Cameroun)

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17 mai 2010 1 17 /05 /mai /2010 03:40

professeur_ayissi.jpgÉthique, Politique et Science

Collection dirigée par Lucien AYISSI

 

 

Cette collection offre une plage intellectuelle à tous ceux qui sont déterminés à soumettre à la sanction philosophique les questions relatives à l’éthique, à la politique et à la science. En prenant, à travers des publications, part aux divers débats relatifs au devenir des valeurs, au sens du pouvoir politique et au rapport de la science à l’aventure existentielle de l’homme dans le temps et dans l’espace, ils pourront ainsi contribuer au renouvellement d’une infrastructure conceptuelle qui risque de se pétrifier si elle n’est pas constamment revisitée.


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30 avril 2010 5 30 /04 /avril /2010 04:16

 

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Apparemment, ces deux institutions se rapportent sur le mode d’une logique confrontationnelle qui est d’abord remarquable au plan orthographique. Ce qui apparaît d’emblée, au plan orthographique, c’est que ces deux institutions se disputent les majuscules. En tant que Dieu mortel (Hobbes) ou Dieu terrestre (Hegel), l’État se refuse d’être dans une condition orthographique pitoyable. Aussi ne s’accommode-t-il pas d’un « e » minuscule qui passerait pour l’indice de perception de sa précarité politique là où il entend plutôt exprimer, même de façon bruyante et brutale, toute la force de la puissance publique qu’il incarne. L’Église, quant à elle, refuse d’être confinée dans les quatre murs d’une église particulière, lesquels pourraient non seulement étouffer son aspiration à l’hégémonie universelle, mais aussi aliéner la foi qu’elle a l’ambition spirituelle de promouvoir pour le bien de la terre et de ses occupants. Idéologiquement, la confrontation entre l’État et l’Église, qui tarde à se résorber dans le temps, déborde la simple dispute orthographique subordonnée à l’appropriation exclusive des majuscules par l’une ou l’autre de ces deux institutions. En effet, chacune d’elle allègue soit la majesté, soit la sainteté de ses références pour soumettre l’autre à son code. On a beau rappeler à l’Église que ses références s’inscrivent dans une sphère tout aussi privée que la sphère affective et qu’elle doit rester chez elle pour permettre à l’État d’exister chez lui (Victor Hugo), elle estime qu’en vertu de la primauté du sacré sur le profane, du céleste sur le terrestre, le dernier mot doit lui revenir lorsqu’il faut apporter des réponses aux diverses questions de sens qui se posent en politique. Se garder, dans ce cas, de violer (même légitimement) l’auguste domicile politique de l’État, suivant le principe d’un droit d’ingérence éthique et politique, revient à se rendre complice des bigarrures des gouvernances en mal de perspective humaine. Fort de la puissance publique qu’il incarne, notamment dans les républiques dignes de ce nom, l’État estime qu’il est de son droit de faire entendre raison à une particule sociale d’essence théologique qui s’arroge le droit de lui dicter, sur la base de simples références scripturaires, la conduite à tenir. La solution au problème de la cohabitation entre la raison d’État et la raison d’Église est-elle donc la théocratie ? On peut être enclin à le croire si on se réfère à la Bible (Romains 13) ou au Coran (Sourate 2, verset 248 et Sourate 3, verset 25). Mais il y a des risques qu’il s’agisse là d’une mauvaise réponse, car la théocratie est la preuve politique de la subordination de l’État à l’Église. Au lieu de résoudre le problème de la cohabitation de ces deux institutions, la théocratie semble plutôt le différer en faisant primer le droit divin sur le droit civil. C’est en cessant de prendre Dieu pour la mesure de toutes choses et en se rappelant que l’État est un artifice rationnellement construit par les hommes pour résoudre les problèmes que leur créateur n’a pas prévus malgré son pouvoir de préscience, qu’on peut apporter à ce problème des solutions pertinentes.

 

Pr Lucien AYISSI

Université de Yaoundé 1 (Cameroun)

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20 avril 2010 2 20 /04 /avril /2010 01:20

 

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Vérité et Société

 

Article publié dans La Sociologie aujourd’hui : une perspective africaine, Paris, L’Harmattan, Collection « Sociologie Africaine », 2010, pp. 235-245.

Résumé

Notre communication est une analyse des rapports de l’épistémologique à l’historique pour une meilleure intelligibilité de l’incidence des structures sociales ou anthropologiques sur la vérité. Il s’agit non seulement d’évaluer une telle incidence, mais aussi de déterminer les raisons pour lesquelles la société exerce son déterminisme sur la vérité dont la reconfiguration est souvent exigée en fonction des nécessités historiques. La détermination de l’impact de la société sur la vérité sera, pour nous, l’occasion de rendre intelligible la fonction sociale du vrai, dont l’importance est telle que nous soyons obligés d’imprimer des modifications à la dimension théorique de la vérité de manière à ce qu’elle s’accommode des normes sociales du moment ou des convenances culturelles en vigueur, dût-elle, pour cela, cesser de correspondre aux exigences méthodologiques de l’esprit scientifique pour relever plutôt des contraintes  d’ordre culturel, politique ou diplomatique.

 

Mots-clés :  vérité, Pólis, Aléthéia, société, socialisation, culture, filtrage social, identité, jeu de langage.

 


INTRODUCTION

 

Fondée sur le principe de l’adéquation de la pensée avec elle-même ou du concept avec l’objet, selon qu’il s’agit de la vérité des sciences logico-mathématiques ou de celle des sciences expérimentales, la vérité résulte de l’épreuve de subversion rationnelle à laquelle sont sévèrement soumises les habitudes sociales de penser et les visions communes du monde. C’est en brisant les carcans d’une opinion sociale chargée de préventions intellectuellement ruineuses et de croyances épistémologiquement délétères qu’on accède à la vérité. C’est ce que Platon illustre par l’allégorie de la caverne au Livre VII de La République : accéder à la vérité exige, d’après ce philosophe, que chacun libère son pouvoir judicatif des nécessités aliénantes que les apparences illusoires de la caverne imposent à la raison. Dans le sillage de Platon, Descartes soutient qu’une telle exigence consiste, pour le sujet pensant, à n’admettre que la vérité qui s’impose clairement et distinctement à son esprit. Pour cela, il doit préalablement se défaire de celle que la société impose par la pression de conformité qu’elle exerce sur le cogito soit dans le souci de l’intégrer absolument dans ses structures, soit dans le but de le contrôler, afin de prévenir ou d’empêcher les effets déstabilisateurs de son éventuel iconoclasme intellectuel. Mais, habituellement, c’est la société qui s’impose à la vérité en lui donnant la configuration la plus conforme aux conventions culturelles en vigueur, aux intérêts économiques ou aux convenances politiques et diplomatiques du moment, de manière à créer une tension permanente entre le théorique et l’historique, l’épistémologique et le sociologique. Comment penser la tension qui existe habituellement entre l’épistémologique et le sociologique de manière à promouvoir la vérité pour le progrès de l’homme et de la société ? tel est l’objectif de cette analyse.

 

I-VÉRITÉ ET SOCIÉTÉ : ANALYSE D’UN RAPPORT

   PROBLÉMATIQUE ENTRE ALÉTHÉIA ET PÓLIS

           

L’aspiration du logos à la vérité se réalise nécessairement, au plan épistémologique, en rupture des prismes déformants d’une société qui lui impose généralement des œillères. Pour une meilleure intelligibilité du réel, le sujet doit, du point de vue de la connaissance, s’émanciper des déterminismes historiques par un mouvement de sédition intellectuelle qui s’apparente toujours à une réaction oedipienne. Par cette sédition, il exprime son refus de voir la vérité se dissoudre dans les catégories sociologiques ou subir l’empreinte indélébile du milieu et l’effet corrupteur des pressions idéologiques d’ordre ethno-identitaire ou racial. Ce refus est précisément celui de voir la vérité fluctuer en fonction de l’ethnos ou du topos, donc selon qu’on est en deçà ou au-delà des Pyrénées.

Si le sujet doit, par respect pour la vérité, jeter un doute souvent désapprobateur sur l’ordre des conceptions socialement bien établies, c’est parce que tout en ayant la majorité des suffrages de l’opinion et la caution de la société, elles ne manquent pas d’être très problématiques. Ce sont ces conceptions problématiques auxquelles la société offre pourtant de considérables garanties de sécurité et de longévité dont Platon exige, par exemple, la transcendance dans son allégorie de la caverne. La société, cette caverne ténébreuse nous impose habituellement ses illusions. Aspirer à la vérité, c’est devoir triompher de tout ce qui subordonne notre esprit au pouvoir de séduction des apparences illusoires de la caverne en désenclavant le vrai des structures sociales. L’accès à la vérité nécessite, dans ce cas, que le sujet subisse une cure de jouvence spirituelle (Bachelard, 1970 : 13-14). Celle-ci consiste à effectuer une opération de curetage intellectuel destinée à faire table rase des schèmes culturels qui conditionnent non seulement nos affects, mais aussi et surtout nos perceptions et nos conceptions. C’est pour cela que Descartes (1966 : 47 et 55 ; 1979 : 67) recommande au sujet qui veut accéder aux évidences intellectuelles de déraciner de son esprit toutes les préventions qui le meublent illégitimement ou de se défaire de tout ce qu’il avait reçu sans examen de sa culture d’appartenance, pour n’entreprendre d’établir le vrai que par la nécessité de son propre pouvoir de juger, en soumettant à une méthode d’analyse rigoureuse, ce qu’on a coutume de dire, de penser et de faire dans sa société. Pour éviter l’abîme de la précipitation et de la prévention, il faut soumettre la société à l’examen du doute méthodique, en s’émancipant des grands mythes culturels qui constituent notre inconscient collectif et imposent, par conséquent, d’importantes restrictions à notre pouvoir de faire une bonne lecture du réel.

Le rejet des conceptions convenables dont la société assure la protection pour des raisons qui, tout en étant intelligibles, ne sont pas d’ordre scientifique, est, pour le sujet, l’expression d’une volonté d’autonomie par rapport à laquelle il est considérablement en demande dans un cadre sociologique qui tire prétexte de son besoin de persévérer dans son être – en protégeant l’équilibre de sa structure et l’identité de sa culture contre la loi du devenir –, allègue des raisons d’ordre politique, économique ou diplomatique soit pour masquer ou occulter la vérité, soit pour hypothéquer la liberté du sujet.

Il apparaît alors que le procès au terme duquel s’établit la vérité est l’histoire d’un conflit récurrent qui existe entre l’ordre des épistémès régi par un ensemble de principes théoriques et de préceptes méthodologiques déterminés et l’ordre des faits sociaux. Ce conflit reflète celui qui oppose Socrate à la Cité, la science à la société, le savant au politique, la voix individuelle du logos à la vox populi habituellement consacrée comme vox dei. En démocratie, cette contradiction revêt la forme d’un réel affrontement entre Aléthéia et Pólis ou entre l’affirmation hégémonique du logos de la majorité et la volonté affirmée par un citoyen ou une minorité de faire aussi entendre la signature acoustique de la particularité politique de sa voix.

En assurant la victoire de Pólis sur Aléthéia ou en s’appropriant la vérité pour lui donner les contours et les couleurs qu’elle juge conformes à l’ordre culturel et politique établi en son sein, la société entend faire d’elle une simple valeur sociale parmi tant d’autres ; elle entend, par conséquent, réprimer sa tendance à affirmer sa transcendance par rapport aux structures anthropologiques qui ne l’ont pas seulement vue naître, mais qui l’hébergent aussi. Un tel conflit – qui peut poser des problèmes de sens lorsqu’on se réfère à Aristote (1990 : 92) pour qui la société en marge de laquelle la crise de l’humanité et de la citoyenneté fait le lit de la tératologie, est le fondement de l’ethos de l’individu – est fort compréhensible quand on distingue clairement les motifs de Socrate de ceux de Périclès, ceux du savant de ceux du politique. Ce sont de tels motifs, dans ce qu’ils ont de différentiel et même de contradictoire, qui font généralement que la cité ait tendance à imposer des muselières à ses sycophantes, dût-elle devenir finalement pour Aléthéia une véritable menace, sinon un réel cimetière. C’est cela qui explique également que le politique ait, dans le cadre des sociétés closes, la phobie de l’action de militants de la vérité. Les contradictions qui caractérisent les rapports entre la vérité et la société sont si fréquentes qu’il y a vraiment lieu de se demander si la société n’a pas la phobie de la vérité, ou d’une vérité qui est susceptible de rompre ses équilibres macro-culturels en aliénant son ordre ou en perturbant ses structures.

Pourquoi la société qui se charge pourtant d’assurer l’humanité et la citoyenneté des individus doit-elle finalement leur imposer des muselières comme si elle avait la phobie de la vérité ou, plus précisément, comme si elle avait peur de s’apercevoir que son ordre politique, l’infrastructure des normes juridiques et des principes axiologiques sur lesquels elle se fonde soit pour reconfigurer la vérité, soit pour l’étouffer sont réellement problématiques ?

Pour bien comprendre la raison d’être du déterminisme que la société exerce sur la vérité, il convient définir les enjeux auxquels est subordonnée la socialisation du vrai, ainsi que les conséquences de celle-ci. Il s’agit, plus précisément de définir non seulement les desseins par rapport auxquels Pólis s’organise souvent à reconfigurer Aléthéia, mais aussi les implications d’une telle reconfiguration.

 

II- LA SOCIALISATION DE LA VÉRITÉ ET SES ENJEUX

           

II.1-La socialisation de la vérité

 

Par socialisation de la vérité, nous entendons le filtrage social à l’épreuve duquel la vérité est souvent soumise pour être admise ou validée dans une communauté. C’est l’opération de reconfiguration de la vérité au cours de laquelle la société lui impose des mues plus ou moins importantes, à travers le maquillage qu’elle lui fait subir si elle veut que son intégration dans la chaîne des relations que les atomes sociaux ont confectionnées se passe sans difficultés. C’est pour cela que la vérité doit d’abord être tamisée par ses filtres sociaux. C’est la condition qu’elle doit remplir pour qu’elle ait le certificat de pertinence et de légitimité sans lequel elle est condamnée à être censurée. Ainsi, les vérités bonnes à dire sont celles qui ont subi avec succès l’épreuve du filtrage social des représentations et des conceptions ; ce sont celles qui ont reçu de la société l’estampille de vérités normales, donc susceptibles d’être proclamées et défendues parce qu’elles ne peuvent pas rompre la chaîne relationnelle que tient à préserver la société. Dans ce cas, les vérités pathologiques sont celles qui sont délégitimées, compte tenu du fait qu’elles risquent, par exemple, d’aliéner la cohésion sociale. De telles vérités sont alors socialement remplacées par des mensonges pieux ou par des mythes politiquement ou moralement utiles au vivre-ensemble. C’est ainsi que dans l’intérêt de la cité, soutient Platon (1966 : 140) au Livre III de La République, le chef peut user de nobles mensonges. À Aléthéia, ce découvrement-dévoilement de la réalité auquel on parvient au terme d’un travail difficile de tri effectué dans le réseau des préventions inextricables et d’opinions courantes plus ou moins opaques, la société substitue habituellement la vérité qui ne découvre que l’aspect de la réalité qui lui plaît. Si elle occulte ou travestit la vérité, c’est pour que celle-ci convienne à ses attentes éthiques, politiques, économiques et diplomatiques.

La socialisation de la vérité s’effectue dans le cadre d’un déterminisme culturel dont la fin est de commuer son statut de valeur transcendante en celui de valeur immanente à la société, par son insertion dans l’engrenage relationnel du Moi et du Toi, de manière à ce qu’elle corresponde aux aspirations d’un Nous à l’autel duquel on peut, par pragmatisme, la sacrifier, sinon la modifier. C’est pour cela que la société fait cyniquement le deuil des vérités qui ne servent pas ses intérêts et qui prétendent s’émanciper de ses structures.

Pour obtenir les vérités historiquement convenables, celles qui sont à la fois bonnes à dire et à entendre, la société procède à la requalification des méthodologies et des critériologies théoriques de la vérité. Socialement, une conception ou un discours sont vrais lorsqu’ils correspondent aux façons habituelles d’opiner, de juger et de croire de la majorité. Les vérités dont la société s’accommode, et qui se confondent généralement avec celles que se plaisent à entendre ceux qui animent quotidiennement sa gouvernance, sont des vérités qui ne perturbent pas son équilibre ou qui ne contrarient pas les appétits politiques et économiques de ceux qui la dirigent. La promotion sociale de ce type de vérités est assurée par la censure des idées nouvelles qui sont en contradiction avec le besoin qu’éprouve la société de sauvegarder sa mémoire culturelle et le fonds de son identité.

Dans un environnement sociologique régi par le principe du respect des conventions statutaires et des préséances protocolaires, caractérisé par la domination des aînés et des puissants et défini par la sacralité des traditions, l’infaillibilité des ancêtres et la croyance à la perfection absolue des dieux ou de Dieu, les consciences individuelles sont prédisposées à élaborer des conceptions conformes aux attentes sociales. C’est pour cela qu’elles arrivent à s’auto-censurer par peur d’être condamnées à l’existence des parias si le contenu de leurs représentations était en rupture de conformité par rapport aux desseins de la société. C’est cela qui permet de comprendre pourquoi, en dépit de l’iconoclasme apparemment ravageur de son doute méthodique, Descartes (1966 : 51) a dû, sous la pression de conformité que la raison politique et la raison théologique exerçaient sur l’Europe de son temps, avec, comme conséquences, les condamnations de Giordano Bruno ou de Giulio Cesare Lucilio Vanini et le procès de Galilée, se résoudre à légitimer les vérités convenables, en exceptant, par exemple, de la nécessité de douter, les lois, les coutumes et la religion de son pays et en adoptant la posture opportuniste du conformiste, prêt à assumer, au mépris de sa propre méthodologie, l’opinion de la majorité.

Cette auto-répression qui s’opère à la limite du formatage des consciences, sinon de l’émasculation totale de leur dimension critique dans les sociétés régies par la loi de la clôture ou de la fermeture des représentations suspectes de dissocialité, se vérifie également dans les sociétés dites ouvertes, comme Herbert Marcuse (1968) l’établit dans L’homme unidimensionnel. Même dans les sociétés démocratiques, la société a souvent tendance à imposer son propre jeu de langage à la vérité, oubliant que la vérité a son propre jeu de langage. C’est cela qui explique le fait que la tension entre la vérité et la société n’y est pas moins réelle, au regard de l’importance du conditionnement idéologique auquel procèdent les politiques des grandes démocraties pour manipuler l’opinion publique, en masquant ou en occultant la vérité, quitte à substituer à la pensée négative la pensée positive.

Dans tous les cas, l’opération de socialisation de la vérité consiste, pour la société, à conformer la raison de chacun de ses membres aux normes sociales, afin d’amener l’individu à penser, à agir et à réagir suivant le code de comportement en vigueur dans sa culture d’appartenance. L’élaboration des vérités conformes aux standards de la société est la preuve que la socialisation de ceux qui les produisent est réussie.

Pourquoi la société tient-elle à soumettre la vérité à son contrôle et veille constamment à la production et à la promotion des vérités convenables, dût-elle faire de nous des O.L.M., c’est-à-dire des Organismes Logiquement Modifiés ?

 

II.2-Les enjeux de la socialisation de la vérité

 

D’après ce que nous avons déjà indiqué, la socialisation de la vérité obéit à des enjeux culturels, éthiques, politiques, économiques ou diplomatiques. Comme si elle voulait mettre fin à l’anarchie des valeurs et donner un sens unique à l’histoire de ses membres, la société développe des stratégies de capture de la vérité à laquelle elle impose la nécessité de présenter ses certificats de probation ou de validation, si elle veut obtenir son accréditation aux plans culturel, éthique, politique, économique ou diplomatique. La fin de telles stratégies est l’intégration de la raison théorique aussi bien que de la vérité qu’elle recherche en science et dans la vie courante dans les structures sociales, à travers une culture de l’ordre, de l’alignement dont la discipline prévient le désordre et empêche le non-alignement anarchisant. C’est donc non seulement par instinct de conservation politique, par souci de sauvegarder l’identité de son ethnos, celle qui permet à ses divers membres de se reconnaître comme s’originant d’une même matrice culturelle, mais aussi en tant que foyer de vie morale (Durkheim, 1951) dont la fonction est de créer un ethos commun autour des mêmes références culturelles et des mêmes préférences d’ordre axiologique, nomologique et politique.

Si la société sort donc souvent la vérité du cadre de la simple ex-position, c’est-à-dire d’une approche thétique où la réalité devrait être décrite dans sa pure facticité à l’aide d’énoncés protocolaires ou d’observation, c’est parce qu’elle a des intérêts d’ordre culturel, politique, économique et diplomatique à préserver. C’est donc pour cette raison qu’elle promeut l’usage des énoncés performatifs dans le « réseau d’un ‘‘jeu de langages’’ » (Bidima, 1997 : 22) qui relèvent de la manière de dire qu’elle a consacrée. Pour la sauvegarde de ses intérêts, la société substitue aux contraintes méthodologiques et épistémologiques, les exigences éthiques qui consistent à avoir le sens de la pudeur, de la bienséance et à tenir des discours dominés par l’usage de la prétérition et l’évitement de l’hyperbole, sauf quand il faut faire l’apologie de l’action des parents et des aînés ou lorsqu’il faut encenser la gouvernance des chefs, louer la mémoire des ancêtres ou la bonté absolue des dieux ou de Dieu.

Il apparaît donc, à travers cette sociologie de la vérité, que la société se préoccupe tellement de la préservation du pacte qui la fonde qu’elle n’hésite pas à couvrir ou à modifier les vérités qui sont susceptibles de le ruiner, et, par conséquent, de la désintégrer.

Intégrer l’atomique dans le collectif en le sortant d’une naturalité primitivement asociale pour l’élever à la dignité d’ « animal politique », former une entité culturelle et une totalité politique dont il faut sauvegarder l’être dans le temps autour des valeurs sociales bien définies, tels sont les enjeux de la socialisation de la vérité. Cela permet donc de comprendre pourquoi quand Socrate s’attèle, au moyen de sa maïeutique, à déniaiser, au risque de les dresser contre l’ordre politique établi, les habitants de la cité afin que leur logos ne soit ni déterminé par les convenances sociales ni aliéné par les intérêts dominants, le politique se préoccupe plutôt de construire l’ordre le plus à même de protéger l’identité culturelle du groupe, les valeurs à partir desquelles la société compte susciter et développer en chacun de ses membres une personnalité de base. C’est ce conflit de priorité qui explique le fait que la société ait tendance à socialiser la vérité dût-elle, pour cela, mettre les Socrate à mort. Sur la base de ses références culturelles et de ses préférences éthiques, de ses intérêts politiques et économiques ou de ses objectifs diplomatiques, la société s’autorise souvent d’étouffer, de masquer ou d’occulter la vérité, sauf quand sa stabilité et la crédibilité politique de ceux qui en assurent la gouvernance dépendent conjoncturellement de sa promotion.

Telles peuvent se résumer les enjeux de la socialisation de la vérité. Outre qu’elle intègre notre pouvoir de représentation dans les structures sociales, au point de faire que les membres de la société soient de véritables Organismes Logiquement Modifiés, la socialisation de la vérité comporte des conséquences que nous déterminerons dans la troisième articulation de cette réflexion.

 

III-LES CONSÉQUENCES DE LA SOCIALISATION DE LA VÉRITÉ

           

Ces conséquences peuvent être classées en deux catégories : c’est ainsi qu’on peut distinguer les conséquences de la socialisation de la vérité pour le sujet des conséquences qu’elle implique pour la société elle-même.

 


III.1-La socialisation de la vérité et ses conséquences pour le sujet

 

Comme nous l’avons déjà établi, le problème du rapport qui existe entre Aléthéia et Pólis ne relève pas d’un simple parallélisme logico-historique, où nos représentations, nos modes de penser et de connaître existeraient en toute autonomie par rapport aux structures de la société. D’après les analyses précédentes, il apparaît clairement qu’Aléthéia relève généralement du procès d’une socialisation au cours de laquelle Pólis est considérablement déterminante par rapport aux modes d’élaboration et d’exposition de la vérité. Cette socialisation, suivant les normes esthétiques, éthiques et politiques référentielles qui sont en vigueur dans la cité, n’est pas le fait exclusif de la société globale, puisqu’elle se vérifie aussi, comme le montre Thomas S. Kuhn (1983), dans des communautés scientifiques qui sont organisées autour des paradigmes scientifiques qu’elles ont consacrés. Elle pose le problème d’objectivité d’une vérité dont le devenir est généralement consécutif aux diverses mutations que l’ordre des représentations en vigueur dans la société a subies dans le temps. Philon d’Hipparque ne pouvait, par exemple, pas défendre, avec bonheur, ses convictions héliocentristes dans la Grèce de son temps, épistémologiquement dominée qu’elle était, par l’idéologie géocentriste. L’héliocentrisme copernicien ne s’est imposé sur la scène scientifique qu’avec le déclin de la société médiévale qui légitimait théoriquement le géocentrisme à partir des Saintes Écritures. Les difficultés rencontrées par Louis Pasteur dans sa critique de la thèse de la génération spontanée s’expliquent par l’action délétère que les habitudes sociales d’opiner, de croire et de juger exercent généralement sur la pensée. Si Descartes a dû avancer masqué, c’est pour n’être pas suspect de subversion par rapport aux vérités de l’Église et de l’État dont la scolastique assurait idéologiquement la promotion. Dans l’histoire, l’ouverture du logos vers des vérités qui étaient naguère interdites, compte tenu de leur hétérodoxie, n’a pu se produire que grâce aux mutations politiques que les sociétés, les peuples et les États ont favorablement connues par rapport à la libéralisation du discours.

En se construisant sans cesse autour des intérêts qu’elle a en vue, la société organise les épistémès qui se produisent en son sein suivant un ordre de valeurs référentielles susceptible d’être contraire ou contradictoire par rapport à la vérité. Cela peut avoir pour conséquences, la dissolution conformisante de la raison individuelle dans les catégories de la raison politique, l’aliénation du sujet épistémique par un On indéterminé, mais dans les cadres idéologiques duquel il est souvent à la fois très utile et fort prudent de faire preuve d’opportunisme, en y adaptant à la fois son pathos, son logos et son ergon. Ces conséquences se manifestent à travers l’atrophie de la raison individuelle et l’hypertrophie des conventions sociales dont l’ampleur est telle qu’elles imposent à la vérité des nécessités allant de sa reconfiguration à son occultation, voire à son étouffement.

Le fait, pour la société, de devoir valider la vérité, ou pour la raison théorique de procéder à la recherche en légitimation historique de la vérité soit pour des besoins de subvention des investigations scientifiques, soit pour la reconnaissance sociale de la vérité à promouvoir, expliquent pourquoi l’être du vrai est souvent en conflit d’existence avec l’être social. L’autre conséquence est le conflit qui se développe entre la raison théorique, soucieuse de rechercher la vérité pour la proclamer, et la raison politique, préoccupée de l’ordre social généralement fondé sur le principe du respect des exigences normatives destinées à la protection du vivre-ensemble contre des vérités anarchisantes. Pour la société elle-même, cet état de choses est grave de conséquences.

 

III.2-Les conséquences de la socialisation de la vérité pour la société

 

            La socialisation fort compréhensible de la vérité comporte aussi des conséquences pour la société elle-même. En s’attelant, par exemple, à contrôler les représentations individuelles ou groupales pour leur donner le sens historique qui lui permette de sauvegarder ses acquis culturels et son ordre éthique et politique, ou en réduisant la zone d’autonomie logique de l’individu, parce qu’elle veut préserver ses intérêts économiques ou diplomatiques, la société entrave, à terme, sa propre dynamique et hypothèque la possibilité de rénover ses structures, donc de pouvoir s’intégrer dans la logique d’une dynamique globale chargée d’innovations humainement fécondantes. En bloquant, de la sorte, la dialectique historique qui pourrait assurer son progrès, elle procède, sans le savoir, à l’obturation du possible par l’apologie du déjà-là, qui fait souvent le lit d’un traditionalisme fort sclérosant. En faussant le jeu de langage de la vérité au moyen des discours rationalisateurs ou par la répression de ceux qui sont révélateurs de ses dysfonctionnements, pour des raisons d’ordre pragmatique, la société risque de voir ses structures ne plus correspondre, dans le temps, aux attentes de ses membres. En accordant beaucoup plus d’intérêt à sa survie qu’à la redynamisation de ses structures dans le but de les rendre plus performantes dans l’actualisation de l’humanité de ses membres, la société court également le risque de devenir une entité historique totalitaire, et, par conséquent, liberticide et homicide.

Le fait pour elle de croire que le monopole dont elle jouit dans le cadre de l’offre culturelle qu’elle garantit à ses membres lui assure, par le fait même, le droit de modifier ou même d’étouffer les vérités pouvant déstabiliser ses structures, la prédispose à la clôture ou à la fermeture par rapport aux innovations individuelles et groupales jugées subversives relativement à l’ordre qu’elle a instauré, mais qui sont pourtant susceptibles de régénérer son être de manière à pérenniser son identité dans le temps et à faire preuve de plus d’efficacité dans la préservation de ses intérêts politiques, économiques et diplomatiques.

La société est victime d’une confusion lorsqu’elle se figure que la possibilité qu’elle a de doter l’individu d’une humanité que la nature ne saurait jamais, à elle seule, garantir, lui confère nécessairement le pouvoir de s’arroger non seulement le droit d’étouffer la volonté exprimée par l’individu de rechercher la vérité par-delà ses références culturelles et ses préférences éthiques, politiques, économiques ou diplomatiques, mais aussi celui de modifier ou de reconfigurer les vérités qui sont élaborées par l’homme qu’elle a su faire sortir de son moule culturel.

Si le rejet, par la société, des vérités qui dévoilent, par exemple, ses pannes de justice, l’inhumanité de ses mécanismes de contrôle des individus, d’exploitation de la majorité et d’aliénation des consciences, peut se légitimer par le pragmatisme dont elle fait preuve dans la préservation des ses intérêts, un tel rejet est assorti de conséquences néfastes à la fois pour sa propre dynamique et pour l’épanouissement de ses membres.

 

CONCLUSION

 

Comment rechercher la vérité sans devoir affronter la société ? Comment promouvoir la vérité sans compromettre le progrès de la société et de l’humanité ? telle peut se formuler la nouvelle problématique sur laquelle notre analyse du rapport problématique qui existe entre Aléthéia et Pólis a pu finalement déboucher. Nous pensons que c’est par la promotion de l’éthique de la vérité, mais pour le bien de l’homme, que la société peut éviter de se bloquer, en s’unidimensionnalisant au point d’être perçue par ses membres comme une organisation hégémonique et monopolistique, ayant des structures logicides qui fonctionnent comme des cimetières de la vérité.

Pour éviter également ce qui, dans les relations internationales, s’apparente à une dramaturgie politique au cours de laquelle la vérité est saisie à travers le prisme idéologique conçu par les sociétés dominantes en fonction soit des trajectoires axiales prédéfinies par rapport auxquelles elles évaluent le Bien et le Mal, soit d’après l’issue de l’affrontement plus ou moins féroce des intérêts stratégiques en présence, il convient de promouvoir la vérité pour le bien de la démocratie, telle qu’elle s’accompagne politiquement de l’espoir de réaliser les aspirations des hommes et des peuples dans l’histoire.

BIBLIOGRAPHIE

Aristote, Les Politiques, traduction de Pierre Pellegrin, Paris, GF-Flammarion, 1990.

 

Bachelard, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Paris, J. Vrin, 1970.

 

Bidima, Jean-Godefroy, La palabre, Paris, Michalon, 1997.

 

Descartes, René, Discours de la méthode, Paris, GF-Flammarion, 1966.

-Méditations métaphysiques, chronologie, présentation et bibliographie de Jean-Marie Beyssade et Michelle Beyssade, Paris, GF-Flammarion, 1979.

 

Durkheim, Émile, Sociologie et philosophie, Paris, PUF, 1951.

 

Knorr Cetina, Karin, « Les épistémès de la société : le désenclavement du savoir dans les structures sociales », traduction de Suzanne Mineau, in Sociologie et sociétés, vol. XXX, n° 1, printemps 1999. Cf. E:/001127ar.html

 

Kuhn, Thomas S., La structure des révolutions scientifiques, traduit de l’américain par Laure Meyer, Paris, Flammarion, 1983.

 

Marcuse, Herbert, L’homme unidimensionnel, traduction de Monique Wittig, Paris, Éditions de Minuit, 1968.

 

Platon, La république, traduction de Robert Baccou, Paris, GF-Flammarion, 1966.

 

Weber, Max, Le savant et le  politique, Paris, Union Générale d’Éditions, Collection 10/18, 1987.

 

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14 avril 2010 3 14 /04 /avril /2010 03:13


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Qu’est-ce qui peut bien expliquer le phénomène de l’irruption des références familiales (« le père », « la mère ») là où elles sont le moins attendues, c’est-à-dire dans un espace public républicain ?

En effet, il s’observe qu’en lieu et place de « monsieur », de « mademoiselle » ou de « madame », les Camerounais préfèrent recourir aux références familiales comme « le père », « la mère » pour désigner leurs interlocuteurs, en dépit de leur âge et surtout de la distinction qu’opère, par exemple, Aristote entre les communautés familiales et les communautés politiques.

Ce phénomène est-il donc dû au fait que les Camerounais prennent la sphère politique pour la sphère familiale ? À moins d’établir que le Cameroun est une grande famille peuplée d’enfants, de pères et de mères, l’usage et même l’abus de ces références sont problématiques.

Faut-il plutôt y voir l’expression de la volonté affirmée par des Camerounais de nous faire savoir que nous sommes moins dans une république que dans un État des pères et des mères dont la politique est régie par des principes tout à l’opposé de ceux devant sous-tendre la rationalité politique de l’État de droit ?

 

Lucien Ayissi

Université de Yaoundé 1

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4 avril 2010 7 04 /04 /avril /2010 15:04

 

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Du latin ovatio, l’ovation désignait, chez les Romains, le triomphe de second ordre, accordé à un citoyen pour des succès simplement honorables. Il s’agissait d’acclamations rendues à quelqu’un par une assemblée ou par une foule. Ça c’est que nous dit précisément M. Larousse. À partir de cette définition, nous pouvons nous interroger sur la raison d’être de l’ovation de M. Polycarpe Abah Abah au tribunal de grande instance de Yaoundé le mardi, 30 avril 2010. Il aurait été ovationné après son acquittement que cela se comprendrait. Ce qui n’est pas le cas, puisque son procès n’est pas encore arrivé à son terme.

Mais si l’ovation de M. Abah Abah est surprenante, la surprise des Camerounais l’est davantage. Comment expliquer cette surprise sinon par la précarité historique de la mémoire collective ? En effet, si les Camerounais n’avaient pas oublié qu’on accorde désormais des préséances sociales et des honneurs politiques à tous ceux ont, au Cameroun, accumulé, même si leur itinéraire d’accumulation est maculé de sang et pavoisé de cadavres, ils ne seraient pas surpris qu’un prévenu sur qui pèse une très lourde imputation d’illégalité soit porté en triomphe dans un tribunal de la République.

Au Cameroun, en effet, il s’est produit un si important déplacement de références anthropologiques que l’humanité de l’homme et la citoyenneté de l’individu sont désormais beaucoup plus fonction de leur avoir et de leur puissance que leur moralité et de leur capacité à respecter les normes constitutives de la République. Au Cameroun, il vous suffit d’émarger dans le nihilisme cynique, de soumettre l’État à la logique de la rationalité prédatrice, de prendre votre inscription dans un puissant cercle ésotérique, de financer, au besoin, le parti au pouvoir et de vous garder surtout de convoiter le fruit politique défendu par le prince pour avoir droit à des ovations, même si ce pour quoi vous êtes ovationné est plutôt un motif de réprobation publique et de honte personnelle. Aussi constate-t-on que certaines gens prennent, dans le cadre de ce nihilisme cynique ambiant, la méchanceté pour un motif de vantardise. Pourquoi s’étonner donc que M. Abah Abah sur qui pèse une grosse graphè para nomon soit ovationné dans un contexte sociopolitique où les médiocres sont socialement et politiquement primés aux dépens d’excellentes gens, où les vauriens passent pour des surdoués, où, suivant les termes du philosophe Hubert Mono Ndjana, on « normalise l’écart » en marginalisant cyniquement la norme ?

 

Pr Lucien AYISSI

Université de Yaoundé 1 (Cameroun)

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25 janvier 2010 1 25 /01 /janvier /2010 07:21

 

 

professeur_ayissi.jpgLe Français serait-il devenu un Je ne sais qui pour qu’il doive  impérativement répondre, aujourd’hui, à la question du connais-toi toi-même ?

La volonté exprimée par le Français de s’auto-connaître à travers une opération d’auto-identification dont la fin n’est pas, je l’espère, la contemplation narcissique de son être, peut se légitimer dans une mondialisation qui tend à procéder à l’effacement des identités nationales et des espaces-temps-locaux au profit d’une cosmocitoyenneté sans contours précis et d’un espace-temps-monde que garnit, comme il lui plaît, le Grand Autre, comme pour corriger sa vacuité et son indétermination. Dans ce cas, la question de savoir qui est Français apparaît comme la forme d’une résistance de désespoir que les concitoyens de Nicolas Sarkozy et d’Éric Besson, jaloux de l’exceptionnalité de leur être-au-monde, opposent symboliquement à une mondialisation qui fait perdre à chacun sa couleur locale.

Il est donc tout à fait légitime de se poser la question de savoir qui on est ou si on est même encore quelque chose dans le chaos identitaire du melting-pot global.

Il se pose également ce problème d’identité aux Africains francophones dont l’appropriation et la domination par eux de la langue française ne leur donne pourtant pas mécaniquement un droit de cité en France. Qui sont-ils donc, ces gens qui parlent français en Afrique ? Mais, parallèlement à cette question que devraient se poser les francophones d’Afrique, les Français se posent plutôt en France, cette autre : qui est Français ?

 

Dans la France de Sartre, on ne peut pas se poser cette question en termes d’identification d’une essence française. Parce qu’une telle essence n’existe pas, à moins que Sarkozy qui est d’origine hongroise et Besson qui est né au Maroc ne nous prouvent le contraire, la question de l’identité française se condamne à l’impropriété politique dans le cadre d’un essentialisme douteux. Dans ce sens, elle est même suspecte d’exclusion : ceux qui n’auraient pas la noble essence française devraient cesser de parasiter la France. Ils devraient se contenter de l’aimer ou de la quitter (Sarkozy ipse dixit).

Ce qui est vrai, dans tous les cas, c’est que cette question est l’expression d’une crise d’identité dans un pays qui connaît de sévères problèmes économiques. C’est dans ces conditions que prospère souvent le phénomène de la diabolisation ou de l’ « émissarisation » de l’Autre (l’immigré), coupable de polluer l’identité française ou de causer des torts économiques à la France.

 

Pr Lucien AYISSI

Université de Yaoundé 1 (Cameroun)

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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 20:01

 

 

ayissi2.jpgReligio dont s’origine étymologiquement la religion, a perdu son sens premier, au point que le scrupule qu’il désignait au début a fait place nette à son contraire et à la violence. Malgré les multiples appels à l’œcuménisme, nous ne nous embarrassons pas de scrupules pour exercer une véritable inquisition sur l’Altérité, surtout lorsque le fanatisme nous pousse à ne pas prendre l’expression de la différence confessionnelle pour un motif de convocation du scrupule, mais plutôt de provocation personnelle. En plus d’être devenue un motif d’irritation permanente, la différence de religion est, dans certaines parties du monde, un véritable casus belli. Pour ceux qui ne la tolèrent pas, la différence religieuse est chargée d’une pollution confessionnelle qu’on ne peut dissiper qu’en menant des croisades de purification spirituelle, dussent-ils pour cela, mettre les autres à mort au nom de Dieu.

 

Au lieu donc d’être l’espace d’existence du scrupule, religio se définit comme la surface d’élection de la terreur et d’une violence protéiforme. Dans la relation privilégiée que l’homme tient à nouer avec son créateur, Dieu semble lui-même ne pas faire preuve de scrupules face au mal qu’il permet sans toutefois le vouloir (Cf. Leibniz).

 

En plus de beaucoup d’Haïtiens éprouvés par un terrible tremblement de terre, d’autres voix s’élèvent partout pour regretter la déréliction dont le monde est l’objet de la part de son divin architecte. Comment comprendre qu’un tel sort s’abatte sur ces hommes qui vivent déjà l’enfer de la misère ? Une chose est sûre : le Très Haut ne peut pas être si peu scrupuleux qu’il aille jusqu'à faire courir aux milliers d’Haïtiens morts des suites de ce tremblement de terre le risque d’aller encore en enfer.

 

 

Pr Lucien AYISSI

Université de Yaoundé 1 (Cameroun)

 

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23 janvier 2010 6 23 /01 /janvier /2010 03:28

professeur_ayissi.jpg

 

Pour un homme, 50 ans, c’est la moitié d’un parcours vital et d’une aventure existentielle. Mais, vivre pendant 50 ans est chose impossible pour un canard. En l’espace de quelques heures, un éphémère peut estimer que sa vie est accomplie, au point qu’il puisse attendre sa mort avec sérénité. Cette énumération exemplaire, on peut la développer à l’envi. Elle se fonde, comme on peut le constater, sur une évaluation qui prend arbitrairement l’année civile pour l’unité de mesure dans un système de normes qui varient pourtant selon les besoins. Dans la course de fond par exemple, l’unité de mesure est la seconde ; pour le géomètre cadastral, c’est soit le mètre carré, soit l’hectare, soit le kilomètre carré. Si, pour un éphémère, 50 ans correspondent à des années lumière, pour un éléphant ou un pays, ce n’est pas vieux, mais ce n’est pas tout à fait jeune.

 

         Compte tenu des problèmes d’appréciation que pose la relativité des normes, il convient, pour les éviter, d’adopter une autre approche critériologique, celle qui se fonde sur le bilan social, éthique, politique et économique d’un être vieux de 50 ans. Suivant cette approche critériologique, on peut reformuler le problème posé en ces termes : quel peut bien être, aux plans social, éthique, politique et économique, le bilan d’un pays comme le Cameroun qui a désormais 50 ans ?

 

         Ce bilan largement négatif peut se résumer ainsi qu’il suit :

-50 ans de sous-développement infrastructurel ;

-50 ans de pauvreté et d’exclusion ;

-50 ans de larbinisme politique et de soumission économique vis-à-vis des puissances tutélaires ;

 

-50 ans de pillage économique du Cameroun par les acteurs du Dedans et du Dehors ;

 

-50 ans de déréliction des masses populaires ;

-50 ans d’occupation de notre cher et beau pays par des sectes aux desseins douteux ;

 

-50 ans de préséance idéologique donnée aux affinités ethniques au détriment du mérite ou de l’excellence ;

-50 ans de théâtralisation d’un dialogue social délibérément faussé par les metteurs en scène d’une grossière dramaturgie dont le casting politique est régi par la logique des parrainages mafieux ou celle de l’appartenance sectaire et ethnique ;

-50 ans de travail de Pénélope ou de Sisyphe ;

-50 ans de mal gouvernance, de sarcophage politique et économique.

 

 

 

Pr Lucien AYISSI

Université de Yaoundé 1 (Cameroun)

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18 janvier 2010 1 18 /01 /janvier /2010 21:45

      professeur_ayissi.jpgQuelle vérité cherche-t-on derrière le voile que des musulmanes s’entêtent à porter en République au nom d’Allah ?
      On
peut penser que ceux qui s’obstinent politiquement à les dévoiler cherchent à retrouver l’authenticité de la beauté féminine qu’on occulte, pour des raisons religieuses, par un voile esthétiquement frustrant. En effet, le port du voile contribue à la rature du voir dans une République où l’esthétique du nu qui prospère à la faveur de l’exhibitionnisme et du voyeurisme, a aussi une fonction politique, celle de symboliser la transparence démocratique incompatible avec le caractère opacitant du voile.
     Que deviendrait la République une fois privée de ces femmes-spectacles qui agrémentent par les fresques de leur esthétique corporelle le paysage politique d’un monde hanté par la laideur spirituelle ou dominé par le mal ?
      Étant donné que la République est une chose publique, il est permis de penser que le corps de chaque citoyen est une res publica qu’on ne peut voiler qu’en attentant  politiquement à la propriété de l'
État. Dans ce cas, il est fort illusoire de se croire légitimement propriétaire d’un corps que la République peut désormais scanner ou mettre certains de ses organes en ligne, pour des raisons de sécurité.

Pr Lucien AYISSI
Université de Yaoundé 1 (Cameroun)
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